Pi, Matrix, et connaissance du 3ème genre de Spinoza

Prenez la pilule rouge et plongez à la découverte de la matrice en compagnie de Néo, Trinity et Morphéus !
phoenlx
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Pi, Matrix, et connaissance du 3ème genre de Spinoza

Messagepar phoenlx » mer. juin 01, 2011 12:20 pm

Une petite réflexion croisée trouvée sur le web à propos des films Pi ( de Darren Aronofsky ) et Matrix ( des frères Wachovsky ) ; Réflexion qui me parle car elle résume très bien un aspect que j'aime dans les films Matrix ( et qui rappelle la connaissance du 3ème genre de Spinoza en philosophie, à travers cette faculté qu'à Néo au bout d'un moment d'appréhender parfaitement la matrice ) Et derrière cette petite étude il y a pas mal de questionnements sur la nature du monde , le rapport au nombres et aux mathématiques ...


A propos de Pi de D. Aronofsky et Matrix des frères Washowsky
Démon de Laplace et connaissance du troisième genre


1) Pythagore : " Tout est nombre ".
Galilée : "la nature est écrite en langage mathématique".

C'est l'hypothèse du film Pi : "tout ce qui nous entoure peut être mis en équation".

2) Preuves ? Empiriques (a posteriori - fondées sur l'expérience) - mais surtout (parce que sinon on ne comprendrait pas comment une telle idée a pu surgir dans l'esprit non seulement d'un individu génial, mais aussi fait écho dans celle de tous les esprits "bien formés") a priori c'est-à-dire fondées sur une évidence de l'esprit concernant la nature des choses indépendamment de toute expérience effective.

3) Dans le film Pi, quelques idées de preuves empiriques uniquement : présence de logiques séquentielles (répétitivité et calculabilité) : le cycle des maladies épidémiques, la récurrence des tâches solaires, les crues et décrues du nil et par hypothèse, la bourse... (Voir cette séquence du film : SQ1). On pourrait ajouter de façon plus évidente : le mouvement des astres, la récurrence des saisons, le mouvement des marées... Puis (SQ2) : De Vinci et le nombre d'or - nombre que l'on retrouve partout dans la nature et qui dans l'espace, selon le film Pi, produit des formes spiralaires (tornade, voie lactée, adn, cornes de béliers...).

4) Mais c'est aussi un a priori de l'esprit, une évidence avant toute expérience (qu'il ne faut pas confondre avec le sens commun de "préjugé"). "Tout est nombre" (Platon). "La nature est écrite en langage mathématique" (Galilée). Une telle certitude n'est pas un produit de l'expérience puisqu'aucune expérience, par essence limitée, n'est l'expérience du tout. C'est donc une évidence issue de notre raison. Mettons-là en lumière.

a) La raison est cette faculté de connaissance qui a pour finalité d’expliquer et de comprendre. A ce titre elle pose au réel deux ensembles de questions : « qu’est-ce que c’est » et « pourquoi »? La première question vise à identifier ce qui arrive, la seconde à comprendre les raisons de sa manifestation. Ainsi si nous entendons un bruit, posons-nous immédiatement ces deux questions au phénomène (phénomène = ce qui se montre, se manifeste). L’idée qu’un tel phénomène n’est rien de définissable et est précisément sans aucune cause ne peut pas nous venir à l’esprit. Nous savons – avant toute identification et explication réelle – que ce que nous entendons est quelque chose de déterminé et par là de définissable - et ce même si nous n'arrivons pas à le définir et à l'expliquer (comme, par exemple, le bruit d'un crissement de pneu ayant pour cause un freinage subit). Or le fait d’un tel savoir est fondamental car avant toute expérience réelle (a priori donc) nous savons (ou croyons savoir) que le réel, l’expérience que nous ferons qui est ici expérience possible (non encore réelle) est structurée de telle façon qu’elle peut répondre à nos deux questions. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le réel est pour nous ordonné et structuré par un ensemble de lois et ainsi que le possible – ce qui peut exister - est limité par ce cadre général : nul phénomène ne saurait être en soi indéterminé ni non soumis à la loi causale qui explique son avènement à l’existence. Si donc apparaît un phénomène que nous n’arrivons pas à identifier, ni à expliquer, il nous faut distinguer le fait actuel de notre non-connaissance et la connaissabilité de principe de ce phénomène. Que nous soyons, actuellement, incapable d’expliquer ce phénomène – ainsi par exemple de quelque vague lueur ou d’un bruit bizarre, étrange – ne signifie pas l’irrationalité d’un tel phénomène mais la simple lacune – temporaire ou non – de notre connaissance. Nous savons au contraire a priori - c'est-à-dire avant toute expérience effective, avant toute manifestation de phénomène – que le réel est en soi rationnel c'est-à-dire déterminé et ordonné selon des lois dont la forme abstraite correspond à celle de notre propre raison.

b) Ce qui est une certitude de toute perception humaine - la nature rationnelle du réel - est à la source de la science. C’est, en effet, parce que nous sommes a priori certains de la rationalité du réel que nous interrogeons ce dernier à partir des questions de la raison. Nous sommes certains qu’il est explicable parce que – avant toute connaissance d’une loi effective – nous pensons qu’il est soumis à un ordre de lois nécessaires. Dès lors la quête de la science sera de trouver, par recherche et interrogation, quelles sont ces lois particulières qui structurent la nature. Elle continue en ce sens le travail de la perception qui, elle aussi, vise à identifier et comprendre la nature. Par rapport à la perception commune, cependant, elle apparaît comme une exigence plus grande et méthodique de rationalité et de rigueur - rationalité toujours pensée comme celle-même des choses et que, allons-nous voir, seule la mathématique peut mettre à jour.

b.1) La loi qui, dans notre perception, relie par exemple tel bruit particulier – un crissement de pneu – à sa cause – freinage de la voiture - relie deux ordres de phénomènes qui n’ont, à les considérer en eux-mêmes, rien à voir, dans le sens où l’un n’est pas déductible de la structure même de l’autre. Quel lien intrinsèque, en effet, d’un bruit – se manifestant à notre oreille – au freinage d’une voiture – se manifestant à notre vue ? Un tel lien est supposé dans notre perception (liaison par la loi) mais invisible. Par la mathématisation de l’expérience, la science rend explicite un tel lien. Décomposant et intégrant chaque instant du temps, ne laissant nulle indétermination dans le phénomène, la loi mathématique tente de rendre compte de la totalité des liens qui unissent tel phénomène à tel autre – et par exemple le freinage de cette voiture à tel bruit donné.

« Et puis la succession pure des causes et des effets est une succession dans le temps humain, dans un temps exprimé en expériences de sujets. C’est là un tissu à trop gros grains. On ne peut suivre linéairement le flux causal. On l’exprime toujours de station à station. Et c’est la rationalité qui donne le signal de départ en assurant dogmatiquement que le phénomène effet se produira à l’arrivée. (…) Tout changera heureusement quand on aura mathématisé la continuité du temps, quand on aura substitué à la notion anthropomorphe de cause la notion scientifique de fonction, quand on aura fondé par une technique de la causalité des principes d’enchaînements » (Bachelard, L’activité rationaliste de la physique contemporaine).

La loi mathématique permet de véritablement déduire – à partir de conditions initiales – un phénomène d’un autre. Si, par exemple, je dispose des lois acoustiques et mécaniques, ainsi que de la mise à jour des conditions initiales, je peux idéalement déduire l’intensité et la fréquence du son que je vais entendre. Par quoi le son lui-même apparaît contenu dans ses causes dont la structure est mathématisable.

b.2) À la multiplicité et à la différenciation des lois dans notre perception, la science oppose une réduction et une unification. Par exemple, en notre perception, les différents sons sont différenciés en autant de genres et leurs causes en autant de causes – si la cause du bruit de crissement est le freinage de la voiture et la cause du son de la trompette est l’air émis par la bouche d’un instrumentiste, il n’y a pourtant – en notre perception – nul lien entre ces différents sons (ils n’ont en commun que d’être des sons sans autre lien unitaire), ni entre leur cause (nul lien du freinage de voiture, au son de l’air). La science vise, quant à elle, à unifier cette multiplicité. La multiplicité qualitative du son sera ainsi réduite, expliquée et, par là, déductible par une fonction mathématique selon la fréquence, l’amplitude et la constitution harmonique. Le même travail sera effectué sur les causes, celles-ci s’homogénéisant comme autant de facteurs déclenchant une fréquence, amplitude et constitution harmonique particulière. A l’extrême limite, le but de la science est de mathématiser l’ensemble des phénomènes afin de pouvoir les déduire depuis une loi mathématique.

b.3) La science réalise ainsi tendanciellement l’idéal de la raison (Kant : saisir le tout en un système). En effet, « il n’y a de science que du nécessaire » (Aristote) : faire œuvre de science c’est ainsi comprendre comment notre expérience est tissée de nécessité. Est nécessaire ce qui ne peut être autrement. Le lien de nécessité par excellence est la déduction : lorsque que B se déduit de A, j’ai conscience de la nécessité d’un tel lien : il ne peut en être autrement. Ex : « A donc B ; B donc C ; d’où : A donc C ». Mais qu’en est-il de A? La science visera à en rendre raison, c'est-à-dire à trouver le A’ à partir duquel déduire A (et A apparaîtra non plus comme contingent = sans raisons, mais comme nécessaire). Vers où la science dans sa visée d’élucidation de la rationalité du réel se dirige t’elle? Remontant de conditionné (c'est-à-dire de dépendant d’une condition : de B à A, du son à sa cause) à sa condition, et à la condition de la condition, elle vise l’inconditionné, c'est-à-dire ce qui ne dépend de rien d’autre, ce qui est absolu et non plus relatif. De là la place nodale de la mathématisation dans la science : parce qu’à la multiplicité qualitative, la loi mathématique substitue des quantités homogènes, ces quantités peuvent par principe se réduire les unes aux autres (comme 3 se déduit de 1 par addition d’unités) et être déduites de conditions, elles aussi, mathématisables ; et le rêve dernier du savant d’enfermer dans une formule la multiplicité de l’univers (rêve que déploie ici Max).

Parce qu'ainsi la science continue en un sens l'évidence de toute perception humaine selon laquelle le réel est conforme aux cadres de la raison; que, par delà le flou et l'aspect qualitatif de la perception et du langage ordinaires, les mathématiques apparaissent comme l'unique moyen d'intégrer rationnellement et intégralement les événements spatio-temporels posés comme rationnels; l'idée que "tout est nombre" est un a priori de la science. Ce pourquoi sur la base de cet a priori, certain que "tout est nombre" - c'est l'ontologie naturelle du savant - Max, le héros de Pi, va se mettre en quête des nombres cachés derrière les apparences que le réel prend pour nos sens.

Tout ce qui précède était un préalable nécessaire pour aborder ce film et comprendre que l'on n'a pas ici affaire à quelque hypothèse d'illuminé - mais à l'hypothèse la plus rationnelle qui soit (ce qui ne signifie cependant pas qu'elle ne délire pas - cf. + bas, la critique kantienne), puisqu'il s'agit de l'ontologie (conception du réel en sa totalité) naturelle de notre esprit.

3) Le film Pi se présente comme la réalisation de cette "théorie" issue de l'esprit de Max selon laquelle "le langage de la nature est mathématique", langue qu'il s'agit donc de décrypter afin de lire le réel dont les apparences sensibles se manifestent à lui comme le signe confus d'un texte dont nous connaissons la forme abstraite (il est écrit en langage mathématique) mais dont la formule exacte - formule qui nous permettrait de pénétrer son coeur - nous fait actuellement défaut.

Dans la première séquence choisie ici (SQ1), Jenna, une petite fille, demande à Max, le mathématicien, la solution d'assez complexes opérations que celui-ci résoud de tête aisément et immédiatement, sous les yeux emerveillés de la gamine qui en vérifie la justesse avec sa calculatrice. Deux points ici à souligner : a) le caractère exceptionnel de la puissance de calcul de Max; b) puissance qui le rend apparemment capable de dépasser toutes les médiations qui à la fois nous séparent et nous lient aux nombres - médiation de la calculatrice et médiation du calcul mental. Dans les termes de Spinoza, en effet, celui qui avec sa calculatrice obtient le résultat du calcul n'a, au final, qu'une "connaissance par ouï-dire" - il fait confiance à l'instrument qui lui "dicte" le résultat, sans être actuellement capable de vérifier par lui-même, c'est-à-dire avec ses propres puissances, la validité de ce dernier. En un deuxième niveau, celui qui, au cours d'un relativement long calcul mental, parvient à obtenir la solution, déploie son calcul par la médiations d'opérations mentales qui, se succédant dans son esprit, doivent pour se poursuivre mémoriser les résultats des opérations antérieures. Utilisant ainsi la mémoire, disait Descartes, celle-ci n'étant que le souvenir de la vérité (qu'il soit noté sur la papier ou mentalement), celui qui effectue le calcul mental a certes un accès plus certain à la réalité du nombre que celui qui se contente de la calculatrice, mais il reste séparé d'une compréhension unitaire et totale du résultat - c'est, en effet, sur la base de résultats qu'il ne comprend actuellement plus, qu'il élabore ses calculs actuels. Max, quant à lui, semble s'être libéré de ce type de médiations. Accomplissant l'idéal "intuitif" et immédiat de la connaissance selon Descartes (Regulae) Max semble saisir la relation immédiate entre les nombres - sans qu'il ait à passer par la médiation temporelle d'un calcul. Parce qu'il saisit cette relation, Max est de plein pied dans les nombres et dans leur vérité. Dans les termes de Spinoza, la connaissance que Max a de ces nombres et de leurs relations est une "connaissance du troisième genre" (Ethique, Traité de la réforme de l'entendement) - non séparation et compréhension extérieure du résultat, mais coïncidence de l'esprit et de la réalité (ici le nombre). Max a le pouvoir de comprendre certaines choses - ici les nombres - de l'intérieur, de telle façon que sa connaissance est absolument certaine, hors de tout doute possible. Autrement dit, pour terminer, Max s'est libéré des médiations qui à la fois nous lient et nous séparent des réalités que nous voulons rejoindre, pour accomplir, dans ce domaine précis, l'idéal qu'est la connaissance immédiate et parfaite (de là même façon, que, par exemple le danseur virtuose qui coïncide avec la musique en épouse sa logique intérieure - alors que d'autres, encore extérieurs à elle, sont contraint de compter les temps).

Mais si Max a une telle connaissance immédiate de la réalité des nombres - d'un certain monde des nombres - sa relation au monde physique reste, quant à elle, encore tissée de médiations. Ce sont, en effet, des "théories " et des "hypothèses" qu'il échafaude. Or théories et hypothèses appartiennent à l'ordre du discours par essence séparé des choses auxquel il se réfère. Ce pourquoi ils ne sauraient détenir en eux-mêmes la preuve de leur vérité, toute théorie étant en définitive une "hypothèse", soit un simple possible, qui exige de passer par le nouveau détour de l'expérimentation afin de donner quelques preuves externes de sa vérité. Ce sont de tels détours, de telles médiations que Max désire abolir, en tentant de coïncider par la conscience avec le réel en sa totalité comme il le fait avec les nombres (ou au moins certains nombres). Ces médiations qui le séparent (et le relient cependant - dans une expérience qui semble celle-même de la conscience représentative, dont l'objet est toujours devant, séparé, la séparation permettant la liaisons c'est-à-dire la vision ou la pensée de la chose devant moi) de l'épreuve immédiate de la vérité sont figurées d'un côté par les feuilles de calcul et les écrans d'ordinateur, images du discours toujours en abstraction, à distance du réel (SQ2). Elles sont figurées de l'autre par la réalité sensible, la réalité telle qu'elle se donne aux sens, réalité qui, par hypothèse, est une apparence déterminée par une réalité plus profonde, mathématique, réalité qui fait cependant écran à la pensée du réel en son intériorité profonde.

Il faudrait analyser chacune de ses séquences une à une - tant le propos y est riche. Notons rapidement :

a) Le regard fixe et perçant de Max au sein du flux des apparences, tentant tout à la fois de lire et de cerner le sens mathématique des évènements, fixité figurant un point d'ancrage théorique pour une lecture du réel en vérité. En Max, les apparences mouvantes se pensent, s'ordonnent et s'unifient comme en leur unique centre.

b) Par contraste, le mouvement de la rue dans laquelle le cinéaste, mouvant sa caméra en tous sens et liant, par le montage, des plans hétérogènes, nous donne le tournis - "nous" donne le tournis : c'est que, dans ce flux mouvant où le haut et le bas, l'ici et le là-bas, le stable et le mouvant sont bouleversés, nous perdons notre centre de gravité (les pieds bien fixes sur une terre ferme) et de perspective. Tout ce que nous identifions, dans la perception ordinaire, est déréalisé, perdant sa densité et sa fixité (les personnes rencontrées dans la rue ne sont plus que des apparences mouvantes sans dimension de profondeur, sans intériorité, des images mouvantes comme le sont les nuages dans le ciel). Mais ce qui nous donne le tournis est précisément la contrepartie du regard de nulle part, regard de vérité qui est celui que prétend détenir la science. La raison qui vise à se dégager de toute anthropomorphisme nous délocalise en relativisant le haut et le bas, le centre et la périphérie, le mouvant et le fixe (Galilée) : de là le tournis pour celui qui tenterait de voir avec des yeux humains ce qui ne peut que se penser. Car c'est bien, en effet, ceci que tente de nous donner à percevoir l'auteur : le reflet pour nos yeux de ce que serait la pensée de Max devenu sensible.

c) La superposition de plus en plus rapide des images sensibles et des feuilles de graphiques et de calcul (SQ3) . "Tout s'accélère", dit Max selon l'idéal d'une coïncidence de la pensée avec le réel physique - soit, avons-nous vu, d'une connaissance du troisième genre, connaissance immédiate à travers laquelle il n'y a plus de séparation entre (ici) la réalité physique dans sa totalité et la pensée qui le pense. L'idéal : penser le réel à la vitesse d'un théorème ou d'une fonction. Autrement dit : penser le temps et l'espace dans leur totalité infinie en un instant. Et pour cela en bon platonicien : dépasser le sensible obstacle. Appliqué au monde sensible : tout s'accélère - la pensée lie de plus en plus vite les apparences sensibles en les totalisant. Jusqu'à la coïncidence : l'immédiat, l'absolu, le fixe et l'éternel (préfigurés plus haut). C'est que la vérité n'est ni dans le spectacle de la perception, ni dans les calculs - médiations ne permettant de saisir la réalité profonde qu'indirectement - médiations qui sont autant de liens et d'obstacles. La vérité est au-delà des deux - connaissance du troisième genre - même si la seconde est connaissance vraie (connaissance du deuxième genre) (cf. + haut).

d) L'image de cet immédiat absolu fixe et éternel : le soleil. Platon encore et la caverne (République VI) : on ne peut fixer le soleil directement (aveuglement) - il faut des médiations (la sortie de la caverne par la médiation du discours) - mais c'est pourtant le but. Le soleil est l'image de la source générative du réel - c'est le Vrai (et le Bien) - d'où toutes choses singulières découlent. L'atteindre - ce que désire Max avec la pensée maintenant, alors qu'enfant c'était avec les yeux - c'est comprendre le tout du réel. De là le lien à la religion et aux rabbins : ce qu'ils cherchant, l'origine à savoir Dieu à travers les chiffres laissés dans le monde, ils le cherchent de la mauvaise manière - par l'analyse d'un livre révélé. Ce sont les mathématiques qui, permettant de lire directement dans le livre du monde - et non dans un livre du monde - parce qu'elles sont la marque en l'homme de la divinité (Dieu a fait l'homme a son image, dit la Genèse - et si, croquant la pomme, il devient comme Dieu c'est qu'il a le pouvoir de la connaissance; Platon ne dit pas autre chose). Ce pourquoi l'idéal de Max est de coïncider avec la pensée de Dieu - tel le démon imaginé par Laplace :

« Nous devons envisager l’état présent de l’Univers comme l’effet de son état antérieur, & comme la cause de ce qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers & ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, & l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »
Pierre Simon de Laplace, Essai philosophique sur les probabilités

e) Enfin la folie de Max. Deux interprétations possibles :

- Selon la première, la folie de Max qui va jusqu'à se faire creuser la tête avec une perceuse (SQ4) mettrait en lumière la finitude de la pensée humaine eu égard à une pensée divine qui lui fait exploser la tête (maux de tête, tumeur). Message classique : l'homme ne saurait - et peut-être même ne doit (punition du péché de connaissance ?) - pénétrer les desseins de Dieu.

- Seconde lecture : l'interprétation mathématisante du monde lorsqu'elle est absolutisée est, en elle-même, folie. L'étrangeté du comportement de Max, son regard déréalisant sur les personnes qui abolit leur dimension intérieure et leur densité propre, le monde sans couleur et sans vie des mathématiques, monde figuré ici par le noir et le blanc... tout ceci pour la perception commune apparaît comme folie : dans le monde de Max, il n'y a plus de vivants mais une unique formule qui nous fait saisir, à la limite, l'abstraction mortifère du désir de la science. On pourrait pour développer cela, et redonner ses droits au monde vécu dans toutes sa densité, utiliser à propos Kant, Nietzsche et Bergson. Kant : l'idée que tout est mathématique et mathématisable est un a priori de l'esprit et une idée régulatrice de la science - non une propriété des choses-mêmes qui sont, dit-il, inconnaissables (puisque les connaître c'est les saisir avec nos instruments, ici nos mathématiques que nous projetons naturellement sur elles). Nietzsche : la mathématisation du réel est d'abord une interprétation, ensuite un appauvrissement de la vie. Bergson : l'origine de notre regard est la vie, la mathématique est un certain regard de la vie qui a en vue l'action et qui ne peut, par structure, saisir sans illusions le fond mouvant du réel.

f) Notons enfin qu'à l'opposé de Max qui, au final, échoue, le Néo du premier Matrix (SQ3), film suivant en partie l'hypothèse d'une nature numérique du réel en lui-même (hypothèse qui, selon Kant, Nietzsche ou Bergson est une illusion de la raison), semble parvenir, quant à lui, à coïncider avec le code que ses compagnons, eux, ne peuvent que percevoir sous la forme de chiffres devant eux, l'écran formant une médiation entre eux et la matrice (liaison et séparation encore). Néo, dans la matrice, maîtrise le réel sensible de l'intérieur - parvenant à arrêter les balles, pénétrer le corps des autres et faire bouger les murs. Ayant dépassé la médiation théorique comme la médiation technique qui permettent d'agir sur mais à distance de la matrice, Néo semble ici coïncider avec elle : la matrice est son corps et son pouvoir, semble t'il ici, par conséquent, total.


Pour approfondir : Sur la philosophie des mathématiques, voir ce lien




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Re: Pi, Matrix, et connaissance du 3ème genre de Spinoza

Messagepar phoenlx » ven. sept. 02, 2016 12:03 am

Il s'agit d'un reportage sur le rapport des math à la nature et à l'univers mais ne sachant trop où le partager je le met dans ce topic il fera bien l'affaire et il est très proche du thème traité ici :mrgreen: c'est accessoirement aussi l'une des grandes questions philosophico-scientifique qui m'obsède à titre personnel

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