Je poste un article (positif) à propos de ce film. J'entends des sons de cloche contradictoire, le film se fait critiquer par certains, là où d'autres semblent agréablement surpris, il a l'air de diviser (mais ceci me rassure plutôt et quand je lis une critique comme ci-dessous je suis même super rassuré
)
Alien Covenant : quand Ridley Scott se prend pour DieuPar Philippe Guedj
La suite du si contesté Prometheus se révèle une belle surprise à ambition biblique. Inégale, certes, mais captivante et incontestablement "scottienne".Deux certitudes au générique final d'Alien : Covenant : le film va diviser encore plus violemment que son prédécesseur, Prometheus ; à 80 ans, Ridley Scott défend à perdre haleine son titre de père d'Alien. Pas évidente sur Prometheus, la patte du général, quoi qu'on pense de ce nouveau film, est cette fois omniprésente du premier au dernier plan. Et au soir de sa vie, qu'on lui souhaite le plus long possible, Scott se débrouille pour livrer, avec Alien : Covenant, le chapitre le plus furieux, brutal et nihiliste de toute la saga. Non pas le meilleur, entendons-nous bien : les trois premiers opus peuvent dormir tranquilles, surtout l'œuvre inaugurale, cet insolent chef-d'œuvre de trouille indécrochable de son zénith et s'obstinant à ne pas prendre une ride.
Mais Alien : Covenant s'avère tout de même une heureuse surprise. Un épisode assurément plus satisfaisant que le chaotique et impersonnel Prometheus, dont il est une suite directe et qu'il vous faudra impérativement avoir (re)vu au préalable pour éviter le trou noir. En l'état, Covenant est justement une symphonie de noirceur d'une violence inouïe, une oraison funèbre pour l'humanité sous le vernis rouge vif d'un gore porté à une intensité inédite dans ce feuilleton cinématographique.
L'intrigue se déroule dix ans après Prometheus et débute le 5 décembre 2104. Sous la surveillance de l'androïde Walter (Michael Fassbender), le vaisseau Covenant (« Arche » en anglais) fend le cosmos avec à son bord un équipage d'une douzaine de personnes et 2 000 colons terriens cryogénisés. Destination : la planète Origae, désignée comme Nouveau Monde potentiel pour désengorger une Terre exsangue. Un incident grave contraint le navire à se dérouter vers une autre planète émettant un étrange signal et située à une distance plus proche, possible nouvel Eden. Pas de chance : c'est précisément l'astre où s'est écrasé le Prometheus, libérant une menace bientôt dévastatrice pour les membres du Covenant.
Blockbuster d'auteurBien sûr, des scories, le sixième chapitre de la saga Alien n'en manque pas. Visuellement desservi par de curieux choix, comme ces plans surexposés à la texture brute quasi vidéo (le chef opérateur Dariusz Wolski, dont c'est ici le 4e film avec Scott, a pris le contrepied de l'onctuosité de Prometheus), Covenant souffre plus encore de la pâleur de ses héros. Katherine Waterston (alias la scientifique Daniels), Billy Crudup (Oram, homme de foi et commandant en second de l'équipe), Danny McBride (Tennessee, le chef pilote), Demian Bichir (Lope) et les autres ne déméritent pas. Mais tout leur talent ne suffit pas à compenser la faible caractérisation de leurs personnages, à des années-lumière de la force des martyrs du premier Alien, dont chaque mort nous transperçait d'effroi. Ici, le sort des victimes nous indiffère presque (avec quelques nuances, bien sûr), d'autant que certains d'entre eux, comme dans Prometheus, s'ingénient à réagir stupidement et à se précipiter dans la gueule du loup.
La scientifique experte en terraformation Daniels (Catherine Waterston) : un petit air de Ripley dans Aliens, mais petit alors... © Fox
La structure scénaristique du film, tout comme Prometheus, s'enlise aussi dans une exposition laborieuse flirtant avec l'ennui. Mai c'est la seconde partie du film, la plus casse-gueule et pourtant la plus passionnante, qui suscitera probablement le plus de railleries. Scott y fusionne la saga avec ses propres aspirations opératiques et gothiques. Et, malgré son chapelet de fausses notes, ce requiem spatial mérite le respect pour alors oser faire muter le mythe vers une dimension biblique ambitieuse, tout en renouant avec l'ADN du premier Alien. Dès lors, une évidence : Alien : Covenant est un film d'auteur. Le célèbre « xénomorphe » est né de l'imagination des scénaristes Dan O'Bannon et Ron Shusett, puis de celle du regretté Giger qui a inventé sa forme graphique, mais son ingénieur principal se nomme Ridley Scott, point barre. C'est bien lui qui, par son génie visionnaire, orchestra la métamorphose d'un script de série B en spectaculaire révolution visuelle du « film de monstre dans l'espace », créant avec Alien une esthétique et une atmosphère mille fois plagiées depuis. Quoi de plus de normal que le maestro souhaite reprendre le contrôle de sa création ?
Dans Alien : Covenant, c'est l'obsession créationniste et... érotique qui va justifier le pire.Épaulé par le cador John Logan au scénario (Gladiator, Skyfall…), Scott fait donc basculer ici « sa » franchise vers une nouvelle réflexion sur l'intelligence artificielle. Comme dans Blade Runner, auquel Alien : Covenant adresse moult clins d'œil (de ce gros plan oculaire d'ouverture à ce baiser de la mort renvoyant à celui du répliquant Roy Batty à son créateur Eldon Tyrell), une machine devient folle de n'être que machine. Dans Blade Runner, les répliquants tuaient pour réclamer plus de vie. Dans Alien : Covenant, c'est l'obsession créationniste et... érotique (oui, vous avez bien lu) qui va justifier le pire et, sans vous en dire davantage, on comprend mieux pourquoi Ridley Scott se désintéresse des humains. Son attention est bien davantage concentrée sur les androïdes Walter et David (Fassbender prodigieux de discipline gestuelle dans ce double rôle), engagés dans une passionnante dialectique d'amour et de mort, tandis que d'horribles mutations déciment l'équipage.
Michael Fassbender, inoubliable androïde © 20th Century Fox
La seconde moitié de Covenant, celle que les bandes-annonces n'ont pratiquement pas montrée, nous en dit parallèlement plus sur le sort des Ingénieurs et prend des allures sépulcrales, avec sa nécropole et son dieu génocidaire. Scott fait ainsi littéralement sortir la saga de son cadre : on n'avait jamais vu pareille ampleur dans un Alien et l'audace est à saluer, d'autant que le cinéaste démontre toute sa maîtrise du spectacle à grande échelle dans de somptueux plans larges à couper le souffle. Plus qu'aucun autre, ce sixième volet est par ailleurs criblé de références à cette culture classique européenne qui habite le réalisateur britannique : l'étonnant prologue tout en blanc convoque Wagner, Michel-Ange et le peintre Piero della Francesca, tandis que David a pour mantra le poème Ozymandias de Percy Shelley, évoquant le pharaon Ramsès II. Rien n'est gratuit et toutes ces références font sens par rapport à la thématique développée au fil du film, y compris le mythe de Frankenstein.
Lui-même forcément titillé par le sujet, Ridley Scott fait d'Alien : Covenant un cauchemar glaçant qui assume jusqu'au bout sa hantise de la mort et du néant. Alors, certes, le script boucle plus ou moins adroitement les boucles inachevées de Prometheus, tout en échafaudant comme il peut le trait d'union avec Alien. Son écriture est brouillonne, son esthétique imparfaite et, parfois, il n'évite ni l'impression de « best of » de la saga ni la faute de goût. Mais son efficacité finit par l'emporter et son dénouement laisse tout de même l'impression d'un blockbuster sacrément gonflé, sans concessions. Le plus cruel de la franchise et le plus généreux en action, dès que Scott se lâche. Alien : Covenant emmène la saga vers un Nouveau Monde et va traverser pour cela un déluge de vibrantes critiques. Mais, dans l'espace, c'est bien connu, personne ne vous entend crier. Surtout pas Ridley Scott.
(source :
http://www.lepoint.fr/pop-culture/cinem ... or=CS2-259 )