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La Kantélétar

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Morgoth Bauglir
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La Kantélétar

Messagepar Morgoth Bauglir » ven. sept. 04, 2015 7:19 pm

La Kantélétar


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La Kantélétar


Lorsque l'on parle de textes finnois anciens, l'on a souvent tendance à évoquer le Kalevala, un recueil de poèmes et de chants traditionnels réunis par Elias Lönnrot pour la première en 1835, désignée par les Finnois comme étant leur épopée nationale. Ce que l'on sait moins, voire pas du tout, c'est qu'Elias Lönnrot s'est également rendu compilateur de poèmes rattachés au folklore, qu'il a regroupé sous le nom de Kantélétar, au cours de ses randonnées à travers la Finlande, et tout particulièrement, en Carélie. Kantélétar, pourrait être traduit en français par "la Muse" ou mieux encore "Esprit Féminin du Kantélé". On sait que le kantélé, la cithare baltique - dont l'invention mythique est par ailleurs relatée dans le Kalévala - est considérée par les Finnois comme leur instrument de musique national.

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Un kantélé à 38 cordes


Origine de la création du kantélé, adapté du résumé du Kalévala par Léouzon le Duc :
Alors que Väinämöinen, Ilmarinen et Lemminkäinen voyagent ensemble sur un grand navire chargé de guerriers, le navire se heurte en pleine mer à un gigantesque brochet qui arrête sa course. Väinämöinen tue le brochet, et de ses os forme une harpe mélodieuse, un kantélé. Chacun essaye d'en jouer, mais nul n'y réussit. Alors, le vieux runoia s'assied sur la pierre de la joie et fait vibrer les cordes de l'instrument. Le kantélé résonne dans toute sa force harmonieuse. Les dieux, les déesses, tous les êtres de la nature accourent pour prêter l'oreille à ses accords; ils sont transportés jusqu'au fond de l'âme et tombent en extase. Väinämöinen lui-même est touché jusqu'aux larmes, et ses larmes, roulant au fond de la mer, s'y changent en perles fines et resplendissantes. Cette runo (chant) est d'un charme et d'une élévation de poésie que rien n'égale. Cependant, l'expédition atteint les rivages de Pohjola (Pays des Lapons). Väinämöinen propose à Louhi de partager le Sampo (sorte de compas, astrolabe, ou machine à du seul, de l'or à partir d'air pur) fabriquer avec lui. Louhi refuse et se prépare à la résistance ; tout le peuple répond à son appel et prend les armes. Mais, au moment où il se rassemble pour l'attaquer, Väinämöinen saisit son kantélé et en tire des accords d'une telle puissance, qu'il plonge ses ennemis dans un sommeil magique. A la faveur de ce sommeil, les trois héros enlèvent le Sampo, le portent dans leur navire et font voile vers la haute mer. Le silence le plus profond règne à bord. Lemminkäinen, que ce silence importune, entonne, malgré l'opposition de Väinämöinen, un chant de triomphe. Sa voix rauque retentit au loin et va réveiller le peuple de Pohjola. Louhi s'aperçoit de l'enlèvement du Sampo.
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La Défense du Sampo par Gallen-Kallela

Les ravisseurs échappent avec peine au naufrage, mais le kantélé, emporté par les vagues, est précipité au fond de l'abîme. Impatiente de reconquérir le Sampo, Louhi se précipite sur les traces de Väinämöinen. Le runoia la prévient, et, par la puissance de ses incantations, fait surgir au milieu de sa route un écueil formidable, contre lequel le navire de Pohjola se heurte et se brise. Louhi se change alors en aigle et, prenant ses guerriers sous ses ailes, elle s'élance à travers les airs. Bientôt, elle atteint le navire de Väinämöinen et se pose à la cime du mât. Lemminkäinen la frappe de son glaive, mais sans la blesser mortellement; Väinämöinen l'abat d'un coup de son gouvernail. Tombée sur le pont, Louhi s'efforce d'en arracher le Sampo ; l'instrument vole en éclats, et de ses débris les uns roulent au fond de la mer, les autres flottent à sa surface. Vaincue, Louhi renonce au combat et retourne tristement à Pohjola. De son côté, Väinämöinen gagne les rivages de son pays, où il retrouve les débris flottants du Sampo ; il les recueille avec soin, et, rendant grâces à Jumala, il invoque sa protection sur son peuple. Les effets du Sampo ne tardent point à se produire. Une prospérité merveilleuse règne dans les régions de Kalevala. A cette nouvelle, Louhi, saisie d'une jalousie sauvage, déchaîne contre ce peuple fortuné une succession d'atroces maladies; puis un ours monstrueux ; enfin, dans l'excès de sa rage, elle détache le soleil et la lune de la voûte céleste et les enferme au sein d'un rocher inconnu. Mais tous ces efforts demeurent impuissants; Väinämöinen les déjoue victorieusement, et le triomphe de Kalevala sur Pohjola est à jamais assuré. Le poème se termine par une runo où le christianisme à son aurore entre en lutte avec le paganisme et met fin à son règne. C'est l'histoire de Marjatta donnant naissance à son fils. L'enfant divin est nommé roi de Karélie; il confond la sagesse de Väinämöinen; et le vieux runoia, sentant sa mission finie, se construit un bateau et s'élance, seul, sur la mer, où il disparaît à jamais dans les horizons lointains; mais il laisse le kantélé à la Finlande, pour la joie éternelle de son peuple.

Parue sous le titre finnois Kanteletar taikka Suomen Kansan Wanhoja Lauluja ja Wirsiä "Kantélétar ou les Vieux Chants et Hymnes du Peuple Finnois" en 1840 à Helsinki, la Kantélétar regroupe des poèmes élaborés au fil des siècles par des générations de paysans anonymes. Cette poésie sauvegardée à travers la Kantélétar est d'une richesse profonde : cette poésie n'est pas seulement l'affaire des bardes, elle accompagne le Finlandais tout au long de sa vie dans le Grand Nord. La fonction magique se dégage de ces textes très empruntés de chamanistes, comme le montre les incantations de chasseurs, qui usent de tournures périphrastiques, car la parole est aussi bien bénéfique que maléfique. Les tabous de vocabulaires (également présents chez les Scandinaves), est très souvent un tabou religieux. Ne pas nommer un loup, c'est ne pas l'attirer vers soit et courir à une mort certaine.

La Kantélétar ne doit donc rien envier au Kalévala : puissance des chants, folklore fondé en grande partie sur des poèmes composés à l'origine par des femmes anonymes, voyage au sein de vestiges enneigés, la Kantélétar est un important corpus de textes finnois traditionnels, car elle regroupe pas moins de 700 poèmes ! Malheureusement, ce recueil de taille et de qualité n'a toujours pas connu de traduction intégrale en français. Il semble qu'il en existe une en allemand. Néanmoins, pour se consoler, les francophones peuvent se reporter à la Kantélétar, poèmes choisis et traduits par le poète Jean-Luc Moreau, dont la couverture du livre figure au début de ce sujet.

La traduction est un véritable chef-d'oeuvre. Le traducteur mais aussi poète, parvient à rendre dans notre langue, l'esthétique finnoise par le biais de l'allitération et de l'octosyllabe originaux. Pour vous figurez ce que j'avance, je vous propose un des cinquante poèmes traduits par Moreau au parfum onirique :

Le Traîneau du Rêve

Do, l'enfant do, le tout petit,
Je berce l’enfant pour qu'il dorme,
Je chante pour que l'enfant dorme,
Je le mène au traîneau du rêve.
Viens, sommeil, et dérobe-le,
Descends, petit garçon du songe,
Place-le dans ta luge d'or,
Prends-le dans le traîneau d'argent.
Lorsqu'il sera dans le traîneau,
Quand tu l'auras mis dans ta luge,
Galope en la plaine de cuivre,
Par la belle route d'étain.
Emporte mon bel enfançon,
Mon cher trésor emmène-le
Sur la cime du mont d'argent,
Là-haut sur la montagne d'or,
Au fond de la forêt d'argent,
Dans l'or de la belle boulaie,
Où chantent les coucous en or,
Où jasent les oiseaux d'argent.
« Vous êtes comme tous les Français, vous n'avez pas lu Tolkien !
Il n'y a que vous autres qui ne l'ayez pas encore lu. »

Louis LAMBERT, Prélude à l'Apocalypse, p. 118 (cit. par Michaël Devaux dans La Feuille de la Compagnie n° 2, p. 85)

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Re: La Kantélétar

Messagepar phoenlx » sam. sept. 05, 2015 9:29 am

Intéressant je viens de tout lire. Le petit poème est charmant. Je pensais que Lönnrot n'avait compilé que le Kalevala. Mais les deux correspondent à des compilations de poèmes traditionnels lors de ses voyages en gros non ? Qu'est-ce qui distingue les sources des poèmes des deux oeuvres au juste.
Belle histoire que celle relative à l'instrument sinon, ainsi que ce que tu évoques à propos du passage au Christianisme. Encore un topic intéressant qui mérite d'être lu et une oeuvre qui mériterait sans doute d'être traduite dans notre langue.
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Re: La Kantélétar

Messagepar Morgoth Bauglir » sam. sept. 05, 2015 9:34 am

La différence qu'il y a entre les deux textes, c'est que les textes de la Kantélétar proviennent quasi exclusivement de la région de Carélie, là où le Kalévala rapporte des chants récoltés un peu partout, afin cette compilation deviennent une épopée nationale qui répondrait à la crise identitaire des Finnois.
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Re: La Kantélétar

Messagepar Myrdred » sam. sept. 05, 2015 11:22 am

La fonction magique se dégage de ces textes très empruntés de chamanistes, comme le montre les incantations de chasseurs, qui usent de tournures périphrastiques, car la parole est aussi bien bénéfique que maléfique. Les tabous de vocabulaires (également présents chez les Scandinaves), est très souvent un tabou religieux. Ne pas nommer un loup, c'est ne pas l'attirer vers soit et courir à une mort certaine.


Le thème de la magie des mots est très intéressant, le fait de nommer une chose permet de la définir et de décrire ses limites, c'est un sujet récurrent dans les histoires de magie et de sorcellerie, on retrouve ça dans le monde arabe également, il y aurait largement de quoi y consacrer tout un texte voire une réflexion mais je n'ai jamais eu le temps de faire des recherches plus poussées à ce niveau-là. C'est d'autant plus intéressant que ça a eu une influence sur le traitement de la magie et de la sorcellerie dans la littérature également. Ainsi, on retrouve par exemple dans des œuvres de fantasy l'idée que les mages et sorciers peuvent être neutralisés en découvrant leur nom véritable et en les nommant, ça fonctionne dans le même ordre d'idée que la description des limites, il s'agit de circonvenir la personne pour qu'elle devienne la cible précise du sort, de la magie, de la formule dont elle est victime. Un mode de pensée intéressant qui n'est pas sans rappeler que les mots ont toujours eu de tout temps un pouvoir d'influence (et là encore, il y aurait beaucoup à écrire sur le sujet car il existe bel et bien à l'heure actuelle des formules qui sont porteuses d'une certaine orme de magie, pas nécessairement au sens où on l'entend habituellement mais plutôt dans le sens de la production d'effets bien connus quand on les maîtrise, là encore le domaine est vaste et on peut faire des liens avec beaucoup de choses depuis la magie jusqu'à la philosophie du langage en passant par tous les tabous et récits divers). Bref, les mots ont encore du pouvoir à l'heure actuelle même si beaucoup ne le soupçonnent généralement pas.
Je préfère les trésors de mon esprit à toutes les richesses de la terre.

"...he had sacrificed much in pursuit of the Ultimate Truth... a permanent chair at the University of Covenant... a seat in the King's court... and, there was no denying it, his soul."


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Re: La Kantélétar

Messagepar Morgoth Bauglir » sam. sept. 05, 2015 11:38 am

Oui le fait de nommer quelqu'un, c'est en quelque sorte le posséder. On voit bien cela chez les Babyloniens : lorsqu'ils voulaient envahir une ville, ils cherchaient à connaître le nom de la divinité protectrice de ladite ville, afin de posséder la cité.
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Re: La Kantélétar

Messagepar Bartiméus » sam. sept. 05, 2015 2:19 pm

Myrdred a écrit :C'est d'autant plus intéressant que ça a eu une influence sur le traitement de la magie et de la sorcellerie dans la littérature également. Ainsi, on retrouve par exemple dans des œuvres de fantasy l'idée que les mages et sorciers peuvent être neutralisés en découvrant leur nom véritable et en les nommant, ça fonctionne dans le même ordre d'idée que la description des limites, il s'agit de circonvenir la personne pour qu'elle devienne la cible précise du sort, de la magie, de la formule dont elle est victime.


On retrouve cette thématique dans la trilogie de "Bartiméus" de Jonathan Stroud où chaque magicien reçoit un nom d'emprunt lorsqu'il accède au statut d'apprenti sous le patronage d'un magicien plus âgé, afin d'éviter le désagrément de se voir manipuler. Généralement le nom d'emprunt a déjà été utilisé par nombre de magiciens du passé, ce qui lui fait perdre toute personnalisation.
"Ce Christ au tétanos n'était pas le Christ des riches, l'adonis de Galilée, le bellâtre bien portant, le joli garçon aux mèches rousses [...] Celui-là, c'était le Christ des premiers siècles, vulgaire, laid, parce qu'il assuma toute la somme des péchés et qu'il revêtit, par humilité, les formes les plus abjectes. "

Là-bas, Joris Karl Huysmans, 1891.

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Re: La Kantélétar

Messagepar Menace » sam. sept. 05, 2015 2:32 pm

Pareil chez les Égyptiens anciens (le nom de Ré est inconnu), dans la Bible (interdiction de prononcer le nom de YHWH), mais c'est vrai encore aujourd'hui. Le plus grand magicien de notre pays, capable de remodeler la réalité à sa convenance le reconnait d'ailleurs "nous pesons chaque mot".
Les Francs, peuples fameux, réunis en corps de nation par la main de Dieu, puissants dans les combats, sages dans les conseils, fidèles observateurs de la foi des traités, distingués par la noblesse de la stature...

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