La Chanson des Nibelungen
La première œuvre ressortissant au genre littéraire de l’«épopée » qui, en Allemagne, ait été couchée sur le parchemin entre la fin du XIIe et le début du XIIIe est la Chanson des Nibelungen, consigné par écrit entre 1190 et 1204. Nous avons là le meilleur témoin du genre, le prototype de l’épopée en Allemagne, prototype que les autres postérieurs s’efforceront d’imiter mais ne pourront égaler. C’est le premier texte à nous faire connaître sur le continent la légende des Nibelungen, qui bénéficiait alors d’une large diffusion dans les pays scandinaves.
On peut répartir les épopées allemandes, d’après les sujets qu’elles traitent, en cinq groupes :
- La Chanson des Nibelungen (Nibelungenlied), la Plainte (Die Klage), le Seyfrid à la peau cornée (Hürnen Seyfrid) ;
- Kudrun ;
- Le poème, dont on n’a plus qu’un fragment, de Walther et Hildegund ;
- Ortnit et Wolfdietrich (I et II) ;
- Les poèmes du cycle de Dietrich, auquel le Nibelungenlied se rattache latéralement (la Fuite de Dietrich ou Livre de Vérone ; la Bataille de Ravenne, la Mort d’Alphart, le Jüngeres Hildebrandslied, le poème bas-allemand de Koninc Ermerikes Dot, Biterof und Dietleip, les poèmes du Jardin des roses de Worms, le fragment du Dietrich und Wezelan, le groupe Goldemar, Chant d’Ecke, Sigenot, Virginal, Laurin avec la continuation du Walberan, et le Wunderer).
Le critère déterminant, qui permet de ranger la Chanson des Nibelungen parmi les épopées est aisé à comprendre ; les épopées – au contraire des romans courtois, qui sont des adaptations de romans français – ne sont pas tributaires, pour ce qui est de leur sujet, de modèles français. Les poètes épiques allemands empruntent leurs sujets non à la matière de France, comme la chanson de geste, ni à la matière de Bretagne, comme le roman courtois, ni à la matière de « Rome la grant », comme le roman antique, mais – certes pas exclusivement – à la matière de Germanie. C’est uniquement pour cette raison qu’on peut parler d’épopées nationales pour l’Allemagne, de même qu’on peut donner ce qualificatif aux chansons de geste françaises, qui, elles, utilisent la matière de France.
Il ne faut cependant pas y voir une exclusivité germanique. C’est ainsi que la quête de Brünhild dans la Chanson des Nibelungen est un motif de conte russe ou que le combat contre le dragon est un motif folklorique qui se trouve aussi dans le roman arthurien, par exemple dans le roman de Tristan. De même, la matière de Germanie sert simplement de décor à une tragédie humaine dont les acteurs revêtent les apparences des membres de la classe aristocratique des XIIe et XIIIe siècles.
Il est probable que l’auteur de la Chanson des Nibelungen était un clerc ou un homme de formation cléricale. L’épopée s’adressait en Allemagne à un auditoire très composite ; cependant, même si le clergé y a toujours pris de l’intérêt (la Chanson a sans doute été écrite pour l’évêque de Passau, Wolfger d’Erla), les épopées étaient généralement condamnées par l’Eglise au même titre que les autres œuvres profanes et qualifiées d’«unnütze wort » (« paroles inutiles »).
La légende des Nibelungen en Allemagne et dans les pays scandinaves
La Chanson des Nibelungen est le premier témoin en langue allemande de la légende des Nibelungen (fin du XIIe siècle). Parallèlement à la Chanson naît la Plainte. Au XVIe siècle, un poète nurembergeois écrit le Lied von Hurnen Seyfried (le Chant de Seyfried à la peau cornée), sans doute sur la base de poèmes plus anciens, et ce chant sert de base au maître chanteur Hans Sachs (1494-1576) pour sa tragédie de Siegfried à la peau cornée (1537) et à sa mise en prose : c’est le Volksbuch (le livre « populaire ») du Siegfried à la peau cornée, dont le plus ancien imprimé date de 1726.
Cependant, la légende des Nibelungen a dû être connue plus tôt, sans doute sous la forme de chants épiques transmis oralement. Eginhart, le conseiller de Charlemagne, fait mention d’un recueil d’anciens chants germaniques, dont il ne reste en Allemagne qu’un seul exemple : le Hildebrandslied (le Chant de Hildebrand), qui date de la moitié du VIIIe siècle mais qui n’a été transcrit qu’entre 810 et 815, et est écrit en vers longs, allitérés. C’est le plus ancien témoin conservé de la matière de Germanie.
Dietrich von Bern (Dietrich de Vérone), qui, trente ans auparavant, avait été chassé par son rival Odoacre et avait été accueilli à la cour du roi des Huns, Attila, rentre au pays. Son armurier Hildebrand chevauche à la tête de l’armée. Face à lui, chef de l’armée ennemie, son fils Hadubrand, que jadis il avait laissé enfant au pays avec sa femme, vient à sa rencontre. Hildebrand reconnaît son fils, lui offre des cadeaux et propose une réconciliation, mais le jeune guerrier suspecte une ruse, insulte le vieil homme en le traitant de couard, ce que Hildebrand ne peut accepter. Un combat s’ensuit, qui s’achève par la mort de Hadubrand de la main de son père.
Ce chant subira des remaniements ; sa fin tragique – le père tue le fils – paraîtra trop brutale au remanieur du XIIIe siècle, qui lui subsistera la réconciliation. Nous n’avons pas de témoin allemand contemporain de cette version courtoise, mais son existence est attestée par la Thidrekssaga (1225-1230), et par le Jüngeres Hildebrandslied (le Nouveau Chant de Hildebrand), transmis seulement dans un manuscrit du XVe siècle et surtout dans de nombreux imprimés de XVIe et XVIIe siècles, et qui appartient au genre de la ballade.
À ce témoin ancien, on peut ajouter une épopée latine, écrite vers 930 par un moine de Saint-Gall, Ekkehard, sur le modèle de Virgile et de Stace, et dont Attila, Gunther et Hagen, avec Walther et Hildegund, sont les héros principaux : le Waltharius est un exercice de style donné à quelqu’un qui connaissait la tradition germanique.
À la cour du souverain hun Attila, vivent trois otages : Hagen, originaire du royaume franc rhénan, son ami Walther d’Aquitaine et la fiancée de celui-ci, Hiltgund de Bourgogne. Après que Hagen a réussi à s’enfuir, Walther et Hiltgund, qui ont enivré les Huns lors d’un festin, s’échappent à leur tour, en emportant un riche trésor. Dans leur fuite, ils traversent le royaume du souverain franc Gunther, qui veut s’emparer du trésor. Toutes les offres de paix de Walther ayant été repoussées, on en vient à onze combats singuliers, décrits en détail, qui tournent tous à l’avantage de Walther. Après que tous ses excellents guerriers ont été éliminés, Gunther convainc son vassal Hagen, qui est l’ami de Walther, de se jeter dans la bataille. Les exhortations de Walther à la paix restent vaines. Dans le combat qui s’engage, les trois combattants sont mutilés : Gunther perd une jambe, Hagen un œil, Walther la main droite. Le poème s’achève par la réconciliation des adversaires, si bien que Walther peut rentrer chez lui avec sa fiancée. Il épouse Hiltgund et règne pendant trente ans : c’est un roi puissant, estimé et aimé de son peuple.
Ces chant épiques, circulant dans la plaine du nord de l’Allemagne, dans l’espace allant de la Baltique jusqu’aux monts Hercyniens, et centrés sur un moment particulièrement dramatique de l’histoire connue oralement, deviennent des ballades, qui appartiennent au genre épico-dramatique, avant de donner naissance à des épopées : les poètes allemands, qui ont appris le métier dans les chansons de geste françaises, ont compris ce qu’est l’utilisation des contenus épiques et ont puisé dans la matière de Germanie, véhiculée par ces chants épiques et ces ballades, pour créer les premières épopées allemandes au cours de la seconde moitié du XIIe siècle.
En effet, il est assez vraisemblable que celles-ci sont nées entre 1150 et 1180, l’une sur la légende des Nibelungen (c’est la Chanson primitive des Nibelungen, (le Ur-Nibelungenlied), l’autre sur la légende de Dietrich (l’épopée de Kudrun est plus récente), mais ces textes ne nous sont pas parvenus. Seuls des remaniements (ou adaptations) de ces textes disparus nous sont conservés : nous sommes donc en présence de deux épopées de haute valeur littéraire, la Chanson des Nibelungen, légende de la vengeance de Kriemhild, et Kudrun (qui est toutefois d’un niveau inférieur), ainsi que d’un ensemble d’épopées de bien moindre qualité, le cycle de Dietrich.
Les textes scandinaves
Les textes scandinaves, c’est-à-dire les Eddas et la Völsungasaga, qui figurent parmi les sources de la Tétralogie de Richard Wagner, ainsi que la Thidrekssaga, jouent un grand rôle dans l’étude de la Chanson des Nibelungen. Ces textes sont issus pour l’essentiel de sources continentales : ce sont les chanteurs ambulants et les relations commerciales avec les pays scandinaves qui font connaître ces motifs légendaires aux habitants de la péninsule scandinave. Il est vraisemblable que leurs auteurs puisaient dans la tradition nordique, transmise elle aussi par voie orale. Comme ces textes ont été transcrits seulement au XIIIe siècle, on ignore quand ils ont été conçus. En voici les principaux :
- Les chants de l’Edda poétique, chants de dieux et de héros, qui remontent à la fin du XIIIe siècle mais sont une copie d’un manuscrit plus ancien, composé entre 1210 et 1240 en Islande ;
- Un texte en prose, l’Edda de Snorri Sturluson (1230), où l’auteur tente de faire la synthèse de la religion nordique ancienne ;
- La Völsungasaga (la Saga des Völsunge, seconde moitié du XIIIe siècle), qui relie la lignée des Völsunge au dieu principal de la mythologie germanique.
- La Thidrekssaga (la Saga de Dietrich, écrite vers 1225-1230 pour le roi Haakon IV de Norvège), qui intègre la matière de la Chanson primitive des Nibelungen (le Ur-Nibelungenlied, Ur-NL, source de la Chanson des Nibelungen que nous connaissons) dans une compilation de récits ayant trait à Dietrich.
Il faut distinguer l’histoire de Sigurd (=Siegfried) et celle de la mort de Gunnar (=Gunther) et de Hœgni (=Hagen), frères de Gudrun (=Kriemhild). Dans tous les textes scandinaves, mise à part la Völsungasaga où un personnage du nom de Niflung est le fils de Hagen, Gunnar et Hœgni sont appelés les Niflungar. Cette dénomination constitue « un emprunt au moyen-bas-allemand Nevelingen, terme qui deviendra Nibelungen en haut-allemand.
Histoire de Sigurd
1. Enfances et combat contre le dragon :
Dans la Völsungasaga, l’Edda poétique et l’Edda de Snorri, Sigurd, fils posthume du roi Sigmund, est élevé par le forgeron Regin, qui, avec son frère Fafnir, a tué son père Hreidmar pour lui ravir son trésor. Mais Fafnir s’est emparé de tout le trésor de Hreidmar, sans en donner une moitié à Regin, et il s’est transformé en dragon pour jalousement le garder. Regin incite Sigurd à combattre Fafnir, car il veut avoir le trésor pour lui seul. Sigurd tue le dragon, dont il doit rôtir le cœur pour son père adoptif. Mais il se brûle et porte le doit à la bouche : il comprend alors le langage des oiseaux, qui lui conseillent de se méfier de Regin. Sigurd tue ce dernier et s’empare du trésor. Avant d’expirer, Fafnir révèle à Sigurd que cet or causera sa perte, de même que celle de tous ceux qui le posséderont, prédiction que le jeune héros accueille avec indifférence (ce dernier point est présent uniquement dans un chant de l’Edda poétique, « Das Lied vom Drachenhort » le « Chant du trésor du dragon »).
Dans la Thidrekssaga, Sigurd, orphelin, est élevé par une biche qui l’allaite pendant douze mois avec ses propres petits. Puis il est découvert dans la forêt par le forgeron Mimir, qui l’élève comme son propre fils jusqu’à sa douzième année et lui donne le nom de Sigurd. Mimir, qui a peur de Sigurd, veut s’en débarrasser : il l’envoie dans la forêt où un dragon doit le tuer (comme dans la tradition parallèle, le dragon est le frère du forgeron), mais c’est le monstre qui est abattu par le jeune garçon. Comme celui-ci a faim, il fait cuire dans une marmite des morceaux de dragon. Il se brûle, porte la main à sa bouche et comprend ce que deux oiseaux chantent au-dessus de lui : il doit tuer Mimir pour empêcher que celui-ci ne le mette lui-même à mort. Puis il s’enduit du sang du dragon aussi loin qu’il peut tendre la main, sans pouvoir atteindre l’endroit situé entre ses deux épaules. Partout, sauf entre les deux épaules, sa peau devient dure comme de la corne. Il rentre chez Mimir qui, pour calmer sa colère, lui donne heaume, bouclier et cuirasse et lui promet un étalon du nom de Grane qu’il doit aller chercher dans le haras de Brünhild. Sigurd brandit son épée et tue Mimir. Dans la Thidrekssaga, il n’est pas question en cet endroit du récit d’un trésor ; cependant, plus tard, Grimhild (=Kriemhild) mentionnera ce trésor, au cours d’une conversation avec Attila, que l’auteur norvégien représente comme assoiffé d’or, et il ajoutera qu’il s’agit de l’or que Sigurd a ravi à un dragon.
La Chanson des Nibelungen semble, pour les « Enfances », refléter les deux traditions. Dans l’aventure II, Siegfried grandit à la cour de ses parents, le roi Siegmund et la reine Sieglinde (l’auteur supprime l’enfance du héros, homme des bois, enfant trouvé, aventurier), mais, dans l’aventure III, il est représenté comme un guerrier errant qui veut s’emparer des terres et des châteaux de Gunther. Puis l’auteur sépare le combat contre le dragon et conquête du trésor, et c’est Hagen qui, dans l’aventure III, donne l’essentiel des informations sur lui.
2. Le réveil de la walkyrie :
Seules l’Edda poétique, l’Edda de Snorri et la Völsungasaga connaissent cette légende. Sigurd suit le conseil que lui avaient donné les oiseaux de chevaucher jusqu’à Hindarfjall (dans le royaume des Francs) où dort Brünhild : sur la montagne, il voit une grande lumière qui donne l’impression qu’un feu brûle. Bien que dans le chant de l’Edda, « la Prédiction des oiseaux » et dans l’Edda de Snorri, qui présente quelques variantes, il s’agisse d’un vrai feu que Sigurd traverse et que lui seul est en mesure de le traverser, ce n’est, dans la Völsungasaga et dans un autre chant de l’Edda, « le Réveil de la walkyrie », qu’une illusion. Quand Sigurd s’approche, intrépide, l’illusion s’efface et il voit devant lui une haie de boucliers, qu’il traverse. Il aperçoit un guerrier endormi, revêtu de son armure. Il lui enlève d’abord le heaume et remarque que c’est une femme, puis, de son épée, il lui découpe la cuirasse et réveille la dormeuse. Dans l’Edda poétique, elle a nom Sigdrifa, et dans la Völsungasaga et l’Edda de Snorri, Brynhild ; dans tous les textes de cette tradition, elle est une walkyrie, c’est-à-dire une vierge guerrière envoyée par le dieu Odin sur les champs de bataille pour ramasser les guerriers morts et les transporter à Walhall. Un jour, elle désobéit à Odin qui la punit en l’endormant au moyen d’une épine (c’est le motif de la « Belle au Bois Dormant ») et en lui retirant son statut de walkyrie : désormais, elle sera une simple mortelle qui devra épouser celui qui la réveillera ; mais elle fait le serment qu’elle n’épousera qu’un homme qui ne connaîtra pas la peur. Brynhild (Sigdrifa) dispense ses conseils à Sigurd. Tous deux se fiancent et se jurent mutuellement fidélité.
Dans la Thidrekssaga, Sigurd, qui vient de tuer Mimir, chevauche vers le château de Brünhild, dans lequel il pénètre de force en tuant tous les serviteurs. Brünhild révèle le nom de ses parents au héros ignorant son origine ; elle lui offre le cheval Grane que lui seul peut dompter (motif d’Alexandre et de Bucéphale). Au contraire de la Völsungasaga et de l’Edda, il n’est pas question de pré-fiançailles et de serments, Dès qu’il a maîtrisé le cheval, Sigurd s’éloigne.
La Chanson des Nibelungen qui, au contraire de la Völsungasaga et de l’Edda, n’établit pas la relation entre Brünhild et le monde des dieux, ignore cette première rencontre entre Siegfried et Brünhild, bien que de nombreux détails prouvent que, derrière le récit du poète des Nibelungen, se cache un récit dans lequel Siegfried a déjà rencontré Brünhild. Cela donne à penser que l’auteur des Nibelungen a modifié son texte pour le rationnaliser : il supprime les éléments merveilleux qui ne sont pas indispensables à l’action.
3. Mariage de Sigurd et de Gunnar (légende de Brünhild) :
Les textes les plus importants qui traitent de cet épisode, en totalité ou partiellement, sont la Völsungasaga et un chant lacunaire de l’Edda, le « Vieux Chant de Sigurd », de même que la Thidrekssaga, qui converge largement avec la Chanson des Nibelungen.
Dans la Völsungasaga, l’Edda de Snorri et le « Vieux Chant de Sigurd », Sigurd part à l’aventure, mais promet à Brynhild de revenir auprès d’elle et lui donne un anneau d’or (Snorri ne relate pas ce fait). Son destin le conduit à la cour du roi Guiki (=Dancrat), au bord du Rhin. Guiki a trois fils, Gunnar (=Gunther), Högni (=Hagen) et Gutthorm – ce personnage est absent de la Chanson et de la Thidrekssaga, qui le remplacent par Giselher, mais en prêtant à ce dernier une autre personnalité – (que Snorri Sturluson nomme les Niflungar, les Nibelungen), et une fille, Gudrun (=Kriemhild) Son épouse, Grimhild, est une magicienne (la mère de Gunther, Gernot, Giselher et Kriemhild s’appelle dans la Chanson Ute, mais elle a une tout autre personnalité que la Grimhild de la tradition scandinave). Sigurd se présente et Guiki lui souhaite la bienvenue : il l’invite à séjourner à sa cour. Grimhild, qui voit combien Sigurd aime Brynhild, désire qu’il demeure auprès d’eux et qu’il épouse Gudrun, car il serait d’une très grande aide pour le royaume ; à cette fin, elle lui donne un breuvage magique qui lui fait perdre la mémoire de ses engagements : il oublie effectivement sa fiancée, les serments qu’il a échangés avec elle, épouse Gudrun et prête avec les frères de la jeune fille le serment de fraternité par le sang.
Plusieurs années plus tard, Gunnar décide de briguer la main de Brynhild. Mais son cheval ne peut franchir les flammes, et celui de Sigurd ne veut pas le porter. C’est ainsi que Sigurd et Gunnar échangent leurs formes (à cet endroit du récit, commence le fragment du « Vieux Chant de Sigurd ») et Sigurd, traversant le feu, pénètre jusqu’à Brynhild : en Scandinavie, c’est cette chevauchée à travers le feu qui constitue l’épreuve qualifiante pour devenir l’époux de Brynhild. Sigurd reste trois nuits auprès d’elle, partage sa couche, mais dépose son épée entre elle et lui. Il ne touche donc pas Brynhild. Il prend ensuite à Brynhild l’anneau qu’il lui avait donné (et que plus tard il donne à Gudrun) et retourne auprès de ses compagnons ; Gunnar et lui échangent de nouveau leurs formes. Gunnar épouse Brynhild, qui considère toujours Sigurd comme son époux prédestiné. Dès que le mariage est conclu, Sigurd se rappelle les serments qu’il a échangés avec Brynhild, mais ne le fait pas remarquer.
Un jour, Brynhild et Gudrun, qui se baignent (dans la Völsungasaga), ou se lavent les cheveux (chez Snorri) dans le fleuve, se disputent à propos de la préséance de leurs époux. Gudrun révèle à Brynhild que c’est Sigurd qui a franchi les flammes et a partagé sa couche, et elle lui montre l’anneau comme pièce à conviction. La tromperie dont Brynhild a été victime est maintenant manifeste. Sur quoi, Brynhild, tourmentée par la jalousie et blessée dans son honneur, exige de Gunnar la mort de Sigurd. C’est Gutthorm, le frère de Gunnar, qui tue le héros pendant son sommeil (dans le « Vieux Chant de Sigurd », il est tué en dehors de la maison). L’amour de Brynhild pour Sigurd éclate de nouveau : elle se fait brûler sur le bûcher funéraire en même temps que le cadavre que Sigurd.
Dans la Thidrekssaga, après avoir obtenu la main de Grimhild, la sœur de Gunnar, roi des Niflungar, et la moitié du royaume des Niflungar, Sigurd suggère à son beau-frère d’épouser Brünhild, une femme dont il lui vante les rares vertus, et (comme dans la Chanson des Nibelungen) il le conduit au château où elle réside et demande pour Gunnar la main de la jeune fille (il y a en cet endroit du récit une claire réminiscence des pré-fiançailles, que l’auteur de la Saga n’a pas racontées) ; mais dans ce texte, contrairement à la Chanson, il n’y a pas d’épreuve qualifiante, et Sigurd doit prendre sa virginité à Brünhild pour la maîtriser pendant la nuit de noces. Au bout de quelques années, après une dispute entre Brünhild et Grimhild, cette dernière révèle à l’épouse de Gunnar la tromperie dont elle a été victime, et Brünhild demande à Gunnar de la venger. Celui-ci, son frère Gernoz et son demi-frère Hoegni décident de tuer Sigurd. Lors d’une chasse, Hoegni enfonce un épieu entre les deux épaules de Sigurd qui est en train de boire à un ruisseau.