J'ai été quant à moi surpris par le film. Il est considéré comme un des plus flippants films d'horreur, et à aucun moment il ne m'a fait peur
C'est vrai qu'il date, et que je dois chercher longuement dans ma mémoire les films d'horreurs qui peuvent m'effrayer aujourd'hui. A part certains jumpscares sanglants peut-être, et encore. Je veux dire que la première partie du remake de Ca a des moments bien plus flippants que ce Rosemary's baby. Entre beaucoup d'autres.
Non, si je devais comparer ce film avec d'autres films du genre j'aurais plus envie de le comparer à certains films d'horreurs cosmiques plus ou moins lovecraftiens genre Dagon. On a en effet un cheminement horrifique très lent et très contemplatif. Ok, je ne suis pas une nana, aussi j'imagine que je sens moins l'horreur évidente du viol banalisé et du fait d'avoir un bébé bizarre grandissant dans son ventre à en faire souffrir comme jamais.
Je peux comprendre donc qu'une femme ressente différemment ce film qu'un homme. En tout cas, que moi, qui n'est ressenti à ce niveau qu'au plus une certaine gêne, un certain dégout, sans doute amplifié par le passif de Roman Polanski lui-même. Je pense à la terrible destinée de son bébé avec et dans Sharon Tate, à Sharon Tate elle-même, et à ses faits judiciaires ensuite. une analyse rapide pourrait trouver dans Rosemary's baby quelques indications du risque de ceux-ci d'ailleurs.
Ca, c'est pour le fond de l'histoire. Pour la forme, je salue bien évidemment l'extraordinaire interprétation de Mia Farrow qui n'a pas volé ses récompenses.
Et aussi Polanski lui-même qui parvient finalement à passionner ses spectateurs en suivant une "banale" grossesse au jour le jour.
Je n'avais pas vu et pas du tout pensé avant de vous lire qu’il avait suivi une démarche de triple lecture, celle de la dépression, celle du fantastique et celle de la sectation (ou sectaritude ?) mais je suis plutôt d'accord. Cependant, pour moi, personnellement, les indices fantastiques dominent largement et je ne pourrais pas regarder le film autrement. La fin nous offre des flashs d'un bébé mutant diabolique, il y a les nombreux poisons et potions, toutes ces morts "de circonstance naturelle" hyper louches et tombant bien pour pouvoir continuer de manipuler Rosemary. J'imagine qu'on peut également y ajouter une quatrième lecture, peut-être d'avantage d'époque celle-là, exposant une manipulation et une domination de femme enceinte par son mari, permettant à Roman Polanski de critiquer de biais les valeurs sociales patriarcales de son pays à l'époque ne donnant pas beaucoup de voix aux femmes. Enfin, on peut aussi y lire un manifeste de nouvelle vague au cinéma où la résistance de Mia Farrow pourrait symboliser celle de Polanski face à Hollywood. Comme Rosemary, qui connait son histoire - exposée par exemple dans le fameux "Il était une fois à Hollywood" de Tarantino - sait qu'il a fini par prendre patience et plaisir à faire comme tous les autres réalisateurs vedettes : s'amuser, faire la fête en invitant tous ses amis et se défoncer. Quelque part, en acceptant son destin de mère satanique pour ne pas perdre son bébé (on pourrait même voir là une influence magique du bébé lui-même), Rosemary fait de même, envoyant valser et ses convictions et sa religion.
Alors, lire tout ça donne l'impression que j'ai aimé le film ? Eh bien en fait, honnêtement, même si je salue tout cela, je me suis quand même fait pas mal chier. Il manque le dépaysement brillant, le baroque improbable et l'humour acide d'un "Bal des vampires" ici - réalisé un an avant en 1967 - pour que je puisse accrocher suffisamment. Plus d'extravagance n'aurait pas été du luxe et aurait servi une brochette d'interprètes tous remarquables de justesse.
C'est certainement un film brillant et intéressant cela dit. Et en même temps assez maladroit. Le fait qu'on voit tout par les yeux ou les autres sens de Rosemary empêche d'avoir suffisamment de matière pour bien comprendre les objectifs et enjeux des autres protagonistes, en particulier son mari. Le film nous laisse hésiter devant ce qu'il lui est arrivé : est-ce qu'il a été possédé par magie, ou bien plutôt convaincu par des arguments de type sectaires, ou est-ce que dès le départ ce n'est finalement qu'un pervers manipulateur dominateur classique ayant construit autour de sa fiancée une atmosphère des plus toxiques où elle n'existerait que pour obéir et servir ses dessein et ceux de ses amis à qui il l'aurait "vendu" ? Rosemary n'a pas vraiment la volonté de le découvrir, tout comme elle glace par son apparente nonchalance devant le fait qu'elle a peut-être été victime d'un viol de masse au final, offrant elle-même la double lecture d'une femme "monarquée" peut-être juste là pour être sacrifiée au plaisir des hommes dominateurs. Reste là aussi quelques fulgurances comme lorsqu'elle tente de s'enfuir et représente ainsi complètement la fille essayant d'échapper à un mari violent dans un dernier sursaut de courage, de lucidité et de grandeur ... souvent comme ici sans doute bien mal payé.
Si le film est désormais passé à la postérité, c'est sans doute aussi parce qu'il offre aux spectateurs toutes ces réflexions si cruciales encore aujourd'hui.
Garçon.
"N'avez-vous donc point d'espoir ?" dit Finrod.
"Qu'est-ce que l'espoir ?" dit-elle. "Une attente du bien, qui, bien qu'incertaine, se fonde sur ce qui est connu ? Alors nous n'en avons pas."
"C'est là une chose que les Hommes appellent 'espoir'... "Amdir l'appelons-nous, 'expectation'. Mais il y a autre chose de plus profond. Estel l'appelons-nous.