Il y avait en Terre du Milieu des êtres discrets et tranquilles, qui ne se plièrent pas ou rarement au courroux de la guerre et qui pourtant, par leurs actes et leurs œuvres, devaient changer la face du monde : Círdan était de ceux-là.
« À leur arrivée aux portes, Círdan le Charpentier de navires s’avança pour les accueillir. Il était très grand, il avait une barbe très longue, et il était gris et âgé, sauf que ses yeux étaient vifs comme des étoiles. » Le Seigneur des Anneaux - Livre VI - Chapitre 9
Sur les Teleri
Quand les tous premiers elfes furent appelés par les Valar pour les rejoindre à l'Ouest, au-delà de la mer, trois clans se réunirent et se mirent en route. Ceux du troisième clan, le plus grand en nombre, les Teleri, étaient les moins rapides car les moins convaincus par cette idée, et ils s'arrêtaient sans cesse à chaque point d'eau qu'ils rencontraient.
Mais quand enfin ils atteignirent la mer sur les côtes ouest du Beleriand, alors que tous les autres avaient déjà franchi l'océan, ils firent halte. Car en route ils avaient perdu leur roi, Elwë, et son frère Olwë prit donc la tête de ceux qui voulaient continuer vers l'Ouest, et ils s'y rendirent. Ceux qui allèrent au contraire à la recherche d'Elwë devinrent les Eglath, les abandonnés, et ceux qui s'établirent le long de la mer devinrent les Falathrim, et ils y rencontrèrent Ossë et Uinen, des servants du Vala Ulmo, qui leur apprirent l'art de la musique.
Le seigneur des Falathrim était Círdan le Charpentier des navires.
Mais un jour, Elwë reparut, et à ses côtés se trouvait Melian la Maia, et ils étaient main dans la main. Alors les Eglath allèrent vers eux, devenant leurs sujets, et avec les Falathrim de Círdan ils formaient le groupe des Sindar, qui reconnaissaient Elwë comme roi de Beleriand.
Mais si les Falathrim étaient restés en Terre du Milieu, c'était grâce à Ossë qui les convainquit, et qui réussit même à arrêter un autre groupe de Teleri sur la lointaine île de Tol Eressëa qu'il encra en mer. Seul un groupe de Teleri, les Falmari, atteignit l'Ouest, menés par Olwë. Leur capitale était Alqualondë, le Port des Cygnes.
« Et eux-mêmes arrachaient des milliers de perles au fond des mers et leurs demeures en étaient couvertes: le palais d'Olwë à Alqualondë était en perles, le Port de Cygnes était éclairé par d'innombrables lampes. » Le Silmarillion - Quenta Silmarillion - Chapitre 5
Sur Círdan au Premier Âge
Il arriva donc que Círdan commandât aux Falathrim, et ils dressèrent les havres des Falas sur les côtes ouest de Beleriand, qu'ils appelèrent Brithombar et Eglarest.
Mais pendant l'absence d'Elwë, Círdan avait attendu longtemps Ulmo, mais il n'était pas revenu, et sur les conseils d'Ossë il s'était concentré sur la construction de navires pour aller à l'Ouest, à Valinor en Aman. Les Valar lui envoyèrent une vision, lui disant qu'ils devaient attendre avant de partir, et que, s'il restait patient, son œuvre ne serait pas oubliée. Alors il attendit, tournant même le dos à la lumière qui brillait dans le lointain depuis Eressëa; et il vit un présage dans le ciel : un navire brillant dans les étoiles, et depuis ce temps toutes les grandes choses du monde il les porta dans ses yeux avant qu'elles ne soient.
Círdan était plus pour Elwë, désormais nommé Elu Thingol, un conseiller qu'un vassal, car il était sage et bien plus tard, il fut l'un des deux seuls elfes à porter la barbe.
Mais il arriva que Morgoth le Noir Ennemi revînt, réunit ses armées dans le Nord à Angband, et les fit surgir avec férocité. Les Falathrim durent reculer devant la masse et finirent par être assiégés et acculés dans les ports. Mais par une chance certaine, les Noldor arrivèrent par le détroit d'Helcaraxë, et brisèrent les sièges menés contre les Falas. Thingol n'était pas venu à son ami : après avoir renversé les armées d'Orques à l'est de Doriath, il rassembla ses soldats et son peuple, et Melian entoura le royaume d'une barrière protectrice. Alors Doriath fut coupée du monde et de la guerre.
« Alors il rassembla tous ceux qu'il put trouver aux environs de Neldoreth et de Region et Melian utilisa son pouvoir pour encercler ce domaine d'un mur invisible et enchanté : l'Anneau de Melian. Nul ne pouvait le franchir contre son gré ou celui de Thingol, s'il n'avait un pouvoir égal ou supérieur au sien, à celui de Melian la Maia. » Le Silmarillion - Quenta Silmarillion - Chapitre 10
L'amitié entre Fingon, fils de Fingolfin et prince des Noldor, et Círdan se renforça, et le premier vint avec les siens pour fortifier les Falas et édifier une tour à Eglarest : Barad Nimras, chargée de veiller sur la mer si Morgoth tentait d'y passer, mais jamais il ne le fit.
Par la suite, il arriva que Círdan fît lever des troupes au secours des Noldor, comme lorsque les Orques tentèrent de pénétrer Hithlum, la terre de Fingon.
Quand eut lieu la déroutante bataille, Nírnaeth Arnoediad, la Bataille des Larmes Innombrables, Fingon envoya son fils Gil-galad en sûreté chez Círdan, avant de mourir au combat. L'espoir était mort chez les elfes et les Hommes, et de temps à autres les marins de Círdan organisaient des raids contre les Orques, rapides et efficaces. Mais Morgoth en fut agacé, encore plus lorsqu'il découvrit qu'un grand nombre de survivants s'était réfugié dans les Havres, et il ordonna alors l'attaque. Les ports furent détruits, les habitants massacrés, mais le Charpentier put fuir avec Gil-galad et une petite partie des siens. Ils rejoignirent alors l'île de Balar, dernier refuge à l'est d'Aman, que Círdan avait établi en dernier recours et qui avait longtemps servi à la recherche de perles sous-marines.
« Melian leur enseignait ce qu'ils désiraient apprendre et Thingol leur offrait des perles que Círdan lui apportait, car on les trouvait nombreuses sur les hauts-fonds qui entourent l'île de Balar. Or les Naugrim n'avaient jamais rien vu de tel et ils les tenaient en grand prix. » Le Silmarillion - Quenta Silmarillion - Chapitre 10
Les forces elfiques et humaines avaient été dévastées, et il ne leur restait plus que quelques rares bastions sur une terre presque totalement acquise à Morgoth. Quand Turgon, roi de la Cité Cachée de Gondolin, apprit l'existence du refuge de Balar, il envoya secrètement des messagers à Círdan lui demandant de préparer des navires pour l'Ouest : sept furent construits et envoyés en mer, six succombèrent à la fureur de la mer, et un regagna la Terre du Milieu dans la furie des vagues, et c'était celui de Voronwë.
Un jour, Ulmo se présenta au Charpentier et lui dit d'envoyer des messagers au seigneur Orodreth, parent de Fingon, afin de le prévenir du danger que courait son royaume de Nargothrond. En effet, pendant longtemps ces cavernes furent protégées par le Narog, la rivière qui bordait l'entrée, mais un pont avait été édifié et les Orques pouvaient alors trouver le chemin. Deux elfes y allèrent, Gelmir et Arminas, mais leur parole fut moindre comparée à celle de l'homme qui avait fait construire le pont : Túrin Turambar. Et comme annoncé par Ulmo, les Orques et le dragon Glaurung passèrent ce pont et anéantirent Nargothrond.
Les elfes avaient encore perdu un bastion.
Les années passèrent, Doriath et Gondolin tombèrent à leur tour, et elfes et Hommes se rassemblèrent à Balar ou aux Bouches du Sirion, un petit territoire sous l'autorité de Círdan au bord de la mer, à l'embouchure du Sirion dans la baie de Balar; le dernier bastion en Beleriand des Enfants d'Ilúvatar, Balar étant une île.
Des survivants de Gondolin il y avait un Semi-Elfe grand et noble, Eärendil, seigneur des peuples des Bouches du Sirion et ami de Círdan. Et dans les survivants de Doriath il y avait une belle elfe de haute-lignée, Elwing, son épouse. Les parents d'Eärendil, l'humain Tuor et l'elfe Idríl, se lancèrent dans la quête d'aller à l'Ouest afin de demander secours aux Valar, et ils prirent pour navire l'Eärrámë. Si l'on sait que leur peine ne fut pas entendue, on ne sait ce qu'il advint d'eux.
Mais bientôt, et par la cupidité d'autres elfes, les Bouches du Sirion furent ravagées et abandonnées, et il ne resta plus de libre que l'île de Balar. Eärendil et Elwing prirent la mer pour l'Ouest avec quelques marins, et leurs enfants furent capturés et emmenés chez les assaillants. Par chance ils furent épargnés par un prince du nom de Maglor, qui les éleva à tel point qu'il finit par gagner leur amour. Ces enfants s'appelaient Elros et Elrond.
Mais cette fois-ci la vision de Círdan s'accomplit, le navire d'Eärendil, Vingilot, flotta dans le ciel et revint en Terre du Milieu, précédé de légions d'elfes, de Maiar et de quelques Valar venus de l'Ouest. L'armée de l'Ouest l'emporta, Eärendil et les aigles achevèrent les dragons, mais dans la fureur de la guerre Beleriand fut engloutie par les flots.
Au Second Âge
Les Hommes avaient reçu en cadeau Númenor, une riche île que les Valar firent surgir entre Aman et la Terre du Milieu, tandis que beaucoup d'elfes retournèrent ou allèrent à l'Ouest. Mais certains restèrent et parmi eux Círdan, et ils s'installèrent au Golfe de Lune où ils bâtirent les Havres Gris, Mithlond. Gil-galad devint Haut-Roi des Noldor et régna sur les Havres et les Hauts-Elfes de la Terre du Milieu.
« Et quand, sortis de la Comté et longeant les pentes méridionales des Hauts Blancs, ils arrivèrent aux Hauts Reculés et aux Tours, ils virent la Mer lointaine ; et ils descendirent enfin vers le Mithlond, vers les Havres Gris sur le long estuaire de la Lune. » Le Seigneur des Anneaux - Livre VI - Chapitre 9
Il avait à son service un jeune Semi-Elfe, Elrond, qui avait fait le choix de rester parmi les elfes, tandis que son frère Elros se mêla aux Hommes. Les Havres Gris prospérèrent, et beaucoup vivaient à Mithlond, ou dans les ports jumeaux de Forlond et Harlond.
Mais il arriva qu'un noble Maia, Annatar, se présenta aux elfes de Mithlond et à ceux d'Eregion, royaume bâti au pied des versants ouest des Monts Brumeux et dirigés par Celeborn et Galadriel. Il leur proposa de grandes choses en prétendant vouloir faire le bien dans le monde, mais ni Círdan, ni Gil-galad, ni Galadriel ni Celeborn ne le crurent. Car Annatar prétendait avoir servi Aulë le Forgeron quand il était en Aman, mais Galadriel savait qu'elle ne l'avait jamais vu à sa suite. Seul un seigneur elfe d'Eregion, Celebrimbor, le rejoignit et organisa une révolte contre le roi et la reine, qui furent chassés. Annatar apprit donc aux elfes ses secrets, et ensemble ils forgèrent seize anneaux : neuf pour les Hommes et sept pour les nains. En secret, Celebrimbor fit trois anneaux pour les elfes, libres de l'influence d'Annatar. Lorsque ce dernier l'apprit, il revint furieux et dévoila sa vraie forme : Sauron, possesseur du vingtième anneau, l'Unique qui commandait aux autres sauf aux Trois.
Les combats s'engagèrent en Eriador, entre les elfes menés par Celebrimbor et les Orques de Sauron. Celebrimbor confia les trois anneaux aux sages de ce monde, Nenya à Galadriel, Vilya à Gil-galad et Narya à Círdan.
La guerre était presque perdue à la mort de Celebrimbor, mais par chance une armada venue de Númenor surgit et brisa les forces de Sauron. Longtemps après, Númenor fut engloutie par la sournoiserie du Seigneur des Ténèbres.
Pendant ce temps, Celeborn, Galadriel et les survivants d'Eregion rejoignaient la Lórien de l'autre côté des montagnes.
Círdan participa avec Elrond, Gil-galad, Elendil et tant d'autres seigneurs des Hommes, des elfes et des nains à la Dernière Alliance. Il se battit à Dagorlad, et assista à la chute de Sauron. Il tenta même avec Elrond de convaincre le roi des Hommes, Isildur, de jeter l'Anneau Unique dans le feu pour le détruire, en vain. Gil-galad était mort, et l'anneau qu'il portait, Vilya, il l'avait donné à Elrond pendant le combat. Pendant le Troisième Âge qui suivit, les Havres de Círdan furent utilisés par les elfes pour rentrer à l'Ouest, et il n'y eu que deux débarquements à Mithlond.
Au Troisième Âge
Le premier débarquement eut lieu en l'an 1000 du Troisième Âge, quand cinq émissaires venus de l'Ouest accostèrent à Mithlond, et seul Círdan comprit qu'ils étaient des Maiar d'Aman, terre retirée du monde depuis la chute de Númenor. Ils venaient sur l'ordre des Valar pour unir les elfes et les Hommes.
Le Charpentier reconnut la sagesse dans le dernier messager, Gandalf, et il lui donna sans le dire à personne l'Anneau de Feu, Narya, voyant qu'il serait plus utile au Magicien qu'à lui-même.
Pendant le reste du Troisième Âge, Círdan continua de veiller sur les Havres, faits siens depuis la mort de Gil-galad à Dagorlad, et il aida les Hommes dans leur guerre contre le Roi-Sorcier d'Angmar.
Le second débarquement eut lieu pendant cette guerre, où les forces du Gondor menées par Eärnur accostèrent puis s'allièrent aux Hommes du Nord ainsi qu'aux elfes de Fondcombe et de Mithlond, et ensembles ils parvinrent à vaincre le Roi-Sorcier à la Bataille de Fornost.
« Au même instant survint Glorfindel, le Seigneur Elfe, commandant les forces de Fondcombe ; et si complète fut la défaite de l'Angmar, qu'il ne demeura à l'ouest des Monts ni Homme ni Orque de ce royaume. » Le Seigneur des Anneaux - Appendice A
Mais la guerre revint quand l'esprit de Sauron eût repris ses forces, par la cupidité d'Isildur longtemps avant son pouvoir se releva.
Quand il fut enfin vaincu et l'Unique jeté dans les flammes, les elfes quittèrent la Terre du Milieu et la laissèrent aux Hommes. Círdan vit alors partir Gandalf, Galadriel, Elrond, Celeborn et tant d'autres.
Mais dans son esprit le vieil elfe était pensif, il passait sa main dans sa barbe et réfléchissait à l'avenir du monde. Il regarda en son cœur et fit le choix de rester, encore et toujours, jusque tous les elfes qui étaient encore cachés dans les cavernes ou dans l'ombre de la nuit soient tous enfin partis, et il décida qu'il serait l'ultime Premier-Né à s'en aller.
Certains disent qu'il quitta ses Havres bien aimés il y a longtemps, dernier comme il l'avait souhaité, mais d'autres disent qu'il est encore présent en Terre du Milieu, attendant de pouvoir enfin achever cette marche millénaire, qui commença au début des temps sous la lumière des étoiles.