Elphins et OuphsEntendez-vous, entendez-vous
les menus trots sur la branche de houx.( Williaù Pearce,
La jolie ronde )
Taille : Tout petits.
Aspect : On prend une cour élizabéthaine a moment de sa splendeur, avec son roi, sa reine, ses princes et ses princesses, comtes et comtesses, ses favoris, ses suivantes, ses chevaliers, poètes, troubadours, ses astrologues, ses bouffons, ses aventuriers, ses généraux, ministres et capitaines... et tous les pages, les servantes, les cuisiniers, les marmitons, les culs cendrons, on les réduit à la taille d'une fourmi. Voilà à quoi ils ressemblent sinon que, contrairement aux Ouphs, les Elfins sont pourvus d'ailes dont la texture, la qualité des écailles, la finesse des coloris évoluent selon les degrés de noblesse.
Vêtements : La garde-robe, adaptée à chaque personnage et professions, d'une cour élizabéthaine.
Habitat : Palais floral dissimulé dans le clair-obscur des haies de l'éternelle Angleterre.
Nourriture :Les petits plats dans les grands et les petits dans les petits.
Mœurs : On dit que les Ouphs et les Elfins ne sont que des créations littéraires. On dit qu'ils sont nés des rêveries bucoliques des poètes élizabéthains. On dit qu'ils ne descendent pas des grands Elfes fondateurs et n'ont pas de passé, c'est pour cette raison que certains écrivains et forts savants mythologues critiquent leurs ailes de papillons, leurs antennes cristallines, et les façons mignardes. On dit qu'ils sont tout justes bons à décorer les dessus de plats et faire la morale dans de niais livres d'enfants. Heureusement, on dit aussi que de merveilleux poètes et dramaturges les ont tendrement aimés. Que Shakespeare et Spencer les ont, non seulement beaucoup fréquentés, mais qu'ils sont allés les rejoindre au coeur des immortels théâtres de la haie.
Activités :Ils gardent la beauté, la pureté d'une langue dans son Âge d'Or et le chant du merle et du pinson...
Bien sûr il faut tendre le cou, bien regarder, bien écouter, mais avant tout s'attarder, muser, oublier le temps fou.
Voici septembre, le mai de l'automne : la haie est en merveille, la mûre est une bouchée noire, la prunelle est bleue et l'aubépine vermeille.
On écarte une feuille.
On ne les aperçoit pas au premier coup d’œil. Il faut d'abord que le regard s'habitue et comprenne que ce lumineux et aéricole remue-ménage, ce cristallin babil ne sont pas dus aux butinements et bourdonnements d'essaims d'insectes au travail, mais aux ébats et conversations d'une fastueuse cour royale. Il n'est pas de plus noble ni de plus précieuse que celle du Roi Pwyll et de la Reine Phylline.
Sous la voûte mordorée, entortillonnée de rames de houblons sauvages, ils trônent, assis côte à côte sur le coussin virginal d'un nénuphar amené à grands efforts depuis une mare voisine. Un ouvrage de géant ! Mais, malgré leur fragile et minaude apparence, ni rien ni personne n'altère la volonté des Ouphs et Elfins.
Autour de ces Majestés Pwyl et Phylline, ce ne sont point on plus des coccinelles, des scarabées qui trottinent, mais bien des princes en tenue d'apparat, des duchesses couronnées, des joliettes suivantes, des jongleurs, des baladins, un mage constellé d'astres que la "seconde vue" perçoit. Fraise gaufrée, robe de velverette pourpre sur taille cambrée, pourpoint jonquille et gris perdrix, joue talquée de veloutine, coiffée de toques aigrettées, de hennins pointus ou sublyrés voilés de gaze légère ou surmontés d'adiamantines antennulles, la gente compagnie se promène, flirte, philosophe, pince les cordes du luth et danse en rond...Des fiançailles.
On croit que c'est un papillon posé sur une fleur, puis ils se détachent d'un baiser et l'on s’aperçoit que ce sont deux amoureux qui, délicatement, s'écartent l'un de l'autre, puis, se tenant par la main, s'éloignent vers l'ombre ornée des viornes. Une feuille de capucine sert d'ombrelle à leurs doux serments. Elle a posé sa tête blonde sur un volubilis et l'écoute réciter des vers de Thomas Campion, que pour lui plaire il a appris par cœur.Jeux et travaux.
Dans la florule basse d'une friche taillée en labyrinthe, le prince de Little Windsor, accompagnée de sa vassalerie, s'amuse à rattraper la comtesse de Peticotails en poussant des taïaut. On se précipite à gauche dans un couloir de verdure, on tourne deux fois à droite, une fois à gauche, on tombe sur un cul-de-sac. On va tous se cogner l'un derrière l'autre, et on repart en riant ! De l'autre côté de l'entrelacs des haies topiaires, des jouvenceaux s'affrontent à la course à dos de criquet, à saute-champignon, girolles, coulemelles et pieds-de-mouton. Sous un parterre de colchiques des prés mouchetés de "monnaie de lumière", des élégantes, tout atintées de bleu, s'échangent des rumeurs d'antichambre et de traversins en jouant au croquet.
Plus loin dans les bois, les ramasseurs récoltent les plumes de la mue d'automne parsemé sur les sols.
Plus haut dans les étages du taillis, une joyeuse foultitude se presse à gauler les faines, les baies vermillonnantes et farineuses des poires à Bon Dieu. Un chantepleure est fiché de pomme en pomme et le nectar coule en épandant ses parfums. La bataille.
Le tocsin sonne à la pointe du vieux néflier. Les trompes sonnent au rassemblement ; de tous côtés, la garde accourt, armée jusqu'aux dents, prendre position sur les remparts. La menace noire descend du ciel à tire-d'aile : c'est une pie grièche affamée qui vient remplir son garde-manger de petites Elfines tendres, de petits Ouphs dodus. Aux commandements des capitaines, les archers se postent aux créneaux. La soldatesque, cuirassée de cottes en grains d'orge, pousse canons et catapultes le long des parapets. Les bouches à feu sont découvertes ; on charge les couleuvrines.
"Tirez !" crie le roi Pwyll, l'épée au poing. La bordée de piquants de chardons, de boulets de tignons et de noyaux durcis s'élève et atteint l'ennemi en plein flanc, mais ça ne suffit pas à le faire reculer. Une autre salve crépite, touche l'aile à bout portant. Ce n'est pas suffisant. La pie s'élève, s'élève, prend de l'altitude puis revient à la charge, piquant droit sur le taillis... bec en avant !
Alors le roi Pwyll la cavalerie ailée des Elfins légers, et celle plus lourde des Ouphs, montés à dos de guêpes, de taons et de frelons à la rencontre de l'écorcheuse.
D'abord l'essaim carapaçonné monte en vrombissant, les rangs serrés comme pour attaquer de front l'adversaire, mais dès qu'il parvient à quelques pouces de son bec, d'un seul coup, en voletant, l'escadrille se disperse, encercle, attaque de tous les côtés à la fois avec la rapidité de l'éclair. La prédatrice ne sait plus où donner de l'aile, de la griffe, du bec. Des traits enflammés se plantent dans ses reins, embrasent son plumage tandis que le roi Pwyll, à califourchon sur un gros cerf-volant rostré de cornes, se précipite sur lui, de face, lance basse. Le cœur est transpercé. La pie pousse un cri d'agonie et tombe en tourbillonnant.
De son balcon, la reine Phylline, fière de l'exploit de son roi, envoie au ciel des baisers. Des funérailles.
Hier, Dame Grindelline est décédée, vers le soir. Elle a demandé de sa couche qu'on lui apporte un miroir pour se voir. Elle a poussé un dernier soupir satisfait en admirant son reflet depuis des siècles inchangés, puis doucement, son corps est retombé, plus léger sur le drap blanc.
On a porté sa dépouille enveloppée dans une feuille de rose et on l'a déposée sous la haie, tout debout en terre, en laissant ses petits bouts de doigts dépasser. Les enfants,, qui les verront comme des pétales se tendre parmi les herbes, diront : "Tiens, voilà des colchiques d'automne." En mars, s'ils reviennent par là, ils diront cette fois : "'Oh ! voilà les crocus du printemps !"