Aujourd'hui nous allons parler de Tachiguishi Retsuden, un film sorti en 2006 au Japon et réalisé par Mamoru Oshii (le réalisateur d'Avalon, de Ghost In The Shell 1 et 2, Sky Crawlers etc) Il est produit par Production I.G.
Ce film est absolument dingue, profondément barré (mais néanmoins profond et complexe !) Un véritable OVNI du cinéma japonais, un film qui va parler de nouilles, de personnages super bizarres, de l'Histoire du Japon, et de bien d'autres choses, sous des dehors ... de loufoquerie totale, une oeuvre qui en anglais porte le titre : The Amazing Lives of The Fast Food Grifters (qu'on pourrait traduire par Les vies incroyables des voleurs de fast food).
Mais avant de commencer à vous en parler, il faut que vous voyiez cette bande annonce (comme ça, vous saurez un peu dans quoi on met les pieds )
Bon ça y est ? J'imagine que certains se sont déjà barré du topic si c'est le cas que ces personnes se rassurent, au Japon ce film n'a été projeté que dans quelques salles à Tokyo, avec une poignée de spectateurs, certains témoignages parlent de gens qui se barrent en plein milieu, ça donne le ton
Si j'ai créé ce topic, c'est malgré tout car j'ai le pâle et faible espoir qu'il y aura dans l'audience du forum au moins quelques personnes suffisamment curieuses pour en savoir plus, donc ça y est ? vous êtes bien calés ? Donc de quoi s'agit-il. On va commencer par le résumé du site allocine, qui plante vaguement le décor.
En 1945, le Japon tente de se remettre des méfaits de la 2ème guerre mondiale. Au marché noir apparaissent des voleurs d'un nouveau genre qui développent des techniques pour manger dans les restaurants de rue sans payer. A leur tête, Moongaze Ginji, la légende des "fast food grifters" japonais. Devenu un véritable art souterrain, ce phénomène va se développer a cours des décennies suivantes, révélant d'autres héros de l'univers "resto-basket" japonais... Aujourd'hui ces fantômes du passé reviennent plus forts que jamais pour faire revivre leur légende!
Ce film est dingue ! Tachiguishi retsuden est avant tout un film satirique sur l'Histoire et la culture japonaise d'après seconde guerre mondiale ! Un film que Mamoru Oshii a fait surtout pour s'amuser, presque plus pour lui-même que pour le public, clairement pas à des fins commerciales. A cette époque, en 2006, il pouvait se reposer sur ses succès critiques et publics antérieurs, comme les Ghost in the shell et Avalon, et on peut comprendre qu'il se soit lâché pour faire une oeuvre un peu en guise de "private joke", mais quand je vais vous décrire le machin, vous allez voir que ça va loin
Avant d'évoquer ce film, il convient de parler un peu du réalisateur, que certains en attaquant ce topic ne connaissent peut-être pas. Déjà si c'est le cas, je vous invite à lire tous les autres topics de la rubrique, pour en savoir plus !!
Oshii est un réalisateur multiforme, qui s'est essayé aussi bien au cinéma d'animation qu'au cinéma live (The Red spectacles, Avalon) , qui a aussi écrit des romans, créé des dramas pour la radio, et il a aussi scénarisé des mangas, à l'instar de son manga Kerberos Panzer Cops (dans lequel se déroule le célèbre film d'animation Jin Roh) ... En bref, un réalisateur fascinant ! complexe, singulier, complet et multimédia, indescriptible en quelques mots et qui a oeuvré sur des oeuvres aussi diverses que le dessin animé Lamu (qui passait au club Dorothée), ou encore Nils Holgersson et les oies sauvages, que des séries de robots et méchas parlant de thèmes métaphysiques profonds.
Mamoru Oshii lorsqu'il réalise des films d'animation c'est souvent pour nous pondre des oeuvres limite chef d'oeuvresques (bien que souvent très particulières et qui ne plaisent pas à tous) ; Il aborde des thèmes complexes comme le transhumanisme, la politique, l'IA, l'essence de la vie, à l'instar de ses films Ghost in the shell .. ses oeuvres sont souvent riches de réflexions métaphysiques, mêlant souvent des scènes d'action spectaculaires avec de profonds moments de poésie et de contemplation.
En revanche quand il s'attèle à des films live, si on excepte son très marquant Avalon, ça a parfois été compliqué !! Ses films live sont vraiment très très particuliers !! Des oeuvres aux ambiances parfois loufoques, souvent un peu nanardesques, mais néanmoins pour certaines comme celle qui nous occupe aujourd'hui souvent bourrées aussi de références (à des artistes qu'il aime, à des écrivains, à la pop culture, voire des auto-références à d'autres de ses oeuvres, mais pour les comprendre, il faut parfois s'accrocher et bien bien connaitre à la fois son oeuvre, sa vie, ses combats politiques, son parcours atypique!) Le film dont il est question ici est de cette trempe, un véritable OVNI sur lequel derrière l'apparence de gros nanard complètement What The Fuck sur la forme, il y a beaucoup de choses à dire. Une critique que j'ai lu sur la toile à son propos m'a amusé :
“ Esthétique expérimentale osée mais avec un fond tellement dense et lourd qu'il provoque l'indigestion ! Le comble pour un docu sur la bouffe ”
Pour ceux qui ont l'estomac bien accroché, je continue. Pour comprendre Tachiguishi Retsuden, il faut rappeler un peu que Mamoru Oshii était un réalisateur révolté dans sa jeunesse, un petit révolutionnaire, n'ayons pas peur des mots. Il participa aux mouvements étudiants des années 60 qui luttaient contre le gouvernement japonais et toute cette lutte, ces combats idéologiques se retrouvent dans ses oeuvres, y compris cette oeuvre loufoque sur les fast food.
Mamoru Oshii est aussi un réalisateur qui a des obsessions, par exemple, l'amour des chiens bassets .. ou encore, des fantasmes comme pour les armes ! (il est un brin fétichiste y compris .. des beaux tanks comme on peut le ressentir dans des films comme Avalon)
c'est aussi un réalisateur qui à travers ses oeuvres parle souvent de son pays, le Japon, de son évolution à la fois passée (depuis la seconde guerre mondiale et l'occupation américaine), et future, en anticipant - dans ses oeuvres SF - l'avenir technologique de l'humanité, comme dans Ghost in the shell.
Une autre obsession de Mamoru Oshii, ce sont les tachigui !!! Ces petits restaurants japonais où l'on mange debout, assez rapidement, toutes sortes de plats notamment des nouilles ou plats à base de viande de boeuf !! Il s'agit de restaurants où les japonais souvent pressés peuvent manger comme des lance-pierre avant de repartir travailler, et C'est LE GROS SUJET qui va nous intéresser ici, vous vous en doutez !! L'action du film Tachiguishi Retsuden va en effet se dérouler dans ce genre de petits restaurants typiquement japonais, sortes de fast food locaux mais bien singuliers (et où certains ont la réputation de partir sans payer !!)
Nous allons y croiser toute une galerie de personnages plus bizarres les uns que les autres (dont vous avez un aperçu dans le trailer vidéo posté plus haut) et ces personnages vont être le prétexte pour Oshii pour nous parler de bien d'autres choses ....
Avant de commencer, je vous poste un très court reportage sur les tachigui, ces fameux petits restos, pour que vous saisissiez un peu le contexte.
cliquez ci-dessous
Le terme tachigui signifie "manger debout", et le terme Retsuden signifie "biographie" car il y est justement question de raconter la vie de ces espèces de "guerriers de la bouffe", ces "maîtres de la restauration rapide", qui se sont fait les spécialistes de ce genre de restos, repartant souvent sans payer après avoir ingurgité des tonnes de nourriture. Le film est tourné comme un pseudo-documentaire racontant leur histoire et leurs méthodes. Ces écumeurs de fast food sont représentés comme des sortes de héros ayant acquis une réputation immortelle.
Le concept peut paraître déroutant voire totalement dingue et cocasse, mais comme souvent Mamoru Oshii a des idées derrière la tête et ce n'est pas que pour amuser la galerie.
Il faut savoir que Mamoru Oshii a placé des clin d'oeil à ces petits restos bien avant ce film dans d'autres de ses créations, notamment dans le film The Red Spectacles, qui se déroule dans le cadre du manga Kerberos Panzer Cops, manga que Mamoru Oshii a scénarisé et créé. Il existe même un manga crossover (sorti après le film) entre l'univers de Kerberos et l'univers de Tachiguishi retsuden.
On a aussi des références aux tachigui dans la série animée Lamu (Urusei Yatsura en VO), qui est adaptée du manga éponyme signé Rumiko Takahashi, ainsi que dans le film d'animation relié à Lamu : Beautiful Dreamer. Certains personnages de cette histoire vont d'ailleurs avoir des liens avec notre histoire présente.
Mieux encore, c'est carrément toute une saga basée sur ces restaurants qu'il a mis en place puisque le film Tachiguishi Retsuden aura aussi une sorte de suite sortie en 2006 : Les 1001 aventuers de Foxy Croquette O-Gin, film qui développera l'histoire de Foxy Croquette alias Ogin, personnage féminin que l'on voit dans Tachiguishi Retsuden et aussi dans Lamu ! Ce film-là qui est lui-même en crossover avec la saga du manga Kerberos Panzer Cops (manga qui englobe aussi le célèbre film d'animation Jin Roh) et qui aura lui-même une pseudo suite.
Vous suivez ? c'est compliqué, en bref, retenez que tout est un peu relié et que bien avant de faire ce film en 2006, Mamoru Oshii avait déjà préparé le terrain en rendant hommage à ces petits restos, les tachigui, dans bon nombre de ses oeuvres. Le sujet l'obsède, et plusieurs personnages voyagent d'une oeuvre à l'autre aussi bien en animation qu'en film live. Il faut savoir aussi que ce rapport aux petits restos et à la nourriture est à rapprocher du goût d'Oshii lui-même pour la bouffe, c'est quelqu'un qui aime bien manger, il se dit d'ailleurs qu'il aurait refusé de travailler pour Ghibli car il n'y avait pas de bon restos à son gout dans les parages du studio !!
Les tachigui sont une résultante typique des années d'après guerre au Japon du fait de l'impératif de se nourrir à cette époque dans un pays meurtris, et où le combat pour la nourriture pouvait devenir une épreuve vitale. Le film Tachiguishi Retsuden va être l'occasion pour Mamoru Oshii de suivre l'évolution de la société japonaise depuis les années d'après guerre immédiates (dans ce contexte difficile) jusqu'aux années de grande prospérité à partir des années 60.
Maintenant que le décor est planté, entrons un peu plus dans le vif du sujet. ci-dessous : voici un petit extrait de ce film
C'est quand même .. bien particulier
Le film nous raconte donc l'histoire de plusieurs "guerriers de la bouffe" qui entrent dans ces restos, et repartent sans payer.
LA FORME
Sur la forme, Tachiguishi Retsuden constitue un étrange et loufoque mélange de 2D et de 3D et est basé sur une technique appelée superlivemation.
En gros, il s'agit de personnages plats, issus de photos en 2D, placés dans des décors en 3D. Un grand nombre de photos de personnages et acteurs ont été découpées, au niveau des bras, du torse, de la tête et reproduites pour donner un effet comique (par exemple les têtes rendues beaucoup plus grosses que les corps comme dans certains mangas avec des effets SD - "super deformed" etc) Le film utilise pour cela plus de 80 000 photos différentes retravaillées sur ordinateur pour arriver à animer tout le film. Cette technique existait déjà avant, Oshii ne l'a pas inventé, il l'avait d'ailleurs déjà un peu utilisé sur certains effets du film Avalon .. Elle est un peu inspirée du théâtre de papier mais Mamoru Oshii à travers ce film se l'est réappropriée à sa manière. Elle emprunte un peu au kamishibai, ces petits théâtres de rue traditionnels au Japon qui ont d'ailleurs eux-même fortement influencé les pionniers du manga, comme Ozamu Tezuka, si vous ne savez pas ce que c'est je vous invite à visiter mon topic.
Le film est par ailleurs tourné un peu comme un documentaire, avec une voix off presque omniprésente tout du long qui forme un énorme monologue. Pour la petite histoire, le narrateur est incarné par le comédien Koichi Yamadera (qui est aussi le comédien de doublage du personnage de Togusa, dans Ghost in the shell et aussi Ryoga dans Ranma 1/2 ..) En plus de la narration quasi omniprésente, il double 9 personnage du film, autant dire que ce fut un rôle très prenant, dont il se souviendra longtemps comme il l'explique en interview !
ci-dessous voici d'autres de ses rôles dans l'animation japonaise
Le film est par ailleurs essentiellement constitué de longs plans semi-statiques. Même si le style visuel est évidemment radicalement différent on peut le rapprocher d'oeuvres de l'animation comme Perfect Blue (de satoshi kon) à l'animation minimalistes, et autres oeuvres de ce style en vogue à cette époque non seulement pour des raisons de coût de production mais aussi pour permettre une nouvelle forme de créativité. Le style de Tachiguishi Retsuden rappelle aussi un peu Mimi Pato ou encore Paper Mario, jeu sorti sur Wii ..
LE FOND, PERSONNAGES, CASTING, ET GRANDS THEMES
Au niveau des personnages du film (et du casting) là encore, c'est très amusant !! Déjà rien que les noms des personnages sont plutôt rigolos :
- Moongaze Ginji (VF : Ginji Gobe La Lune)
- Foxy Croquette O-Gin (VF : Ogin-aux-croquettes)
- Crying Inumaru
- Cold Badger Masa
- Beefbowl Ushigoro
- Hamburger Tetsu
- Medium Hot Sabu
- Frankfurter Tatsu
- Crepe Mami
- Baked Bean Pastry Amataro
A noter que beaucoup d'entre eux sont présents dans le dessin animé Lamu (épisode Le roi des gourmands) comme nous allons le voir par la suite, captures à la clé (restez présents jusqu'à la fin du topic )
Tous ces joyeux lurons apparaissent dans un certain ordre et vont permettre de traiter des époques différentes de l'Histoire japonaise d'après guerre.
Au casting, on y retrouve plusieurs personnes que Mamoru Oshii connait bien pour avoir bossé avec lui sur d'autres de ses oeuvres ! notamment le compositeur Kenji Kawai, le réalisateur Kenji Kamiyama et d'autres, comme nous allons le voir.
Ci-dessous : une photo du personnage de Moongize Ginji (ou Ginji Gobe La Lune) : Il s'agit du premier professionnel de l'arnaque à apparaître dans le film .. il commande un plat de nouilles avec des oeufs, admire le plat, l'avale d'une traite puis re part sans payer !! L'action se passe peu après guerre en 1945 par une nuit de pleine lune. La première partie du film lui est consacrée.
Ce personnage dont on sait peu de choses (ni son lieu ni sa date de naissance) aurait émergé du marché noir peu après la seconde guerre mondiale, d'après le film. Il a été glorifié comme le meilleur des tachiguishi durant les 1000 ans de la restauration rapide et est perçu comme un personnage quasiment mystique !! Sa spécialité était les conférences sur les nouilles soba. Pour incarner ce personnage nous avons le journaliste freelance Kaito Kisshoji. Ginji Gobe La Lune renvoie par ailleurs au cinéma de genre japonais, notamment aux grandes heures du chanbara (comme on peut le voir sur les images)
A noter que ce personnage apparait dans d'autres films de Mamoru Oshii, notamment The Red Spectacles (Les lunettes rouges) où il y fait sa première apparition et où il connait le héros (Koichi)
Abordons à présent le deuxième personnage important du film et qui apparaît chronologiquement en second : la fameuse Foxy croquette (en VF : Ogin-aux-croquettes)
Ce personnage correspond au segment du film consacré aux années 1946 à 1960 et comme Mongize Ginjie, elle est spécialiste du "resto basket", passée maître dans l'art de manger sans payer dans les tachigui. pour cela, elle utilise un autre subterfuge : elle se déshabille devant le vendeur !
Ce personnage de Foxy Croquette est jouée par une actrice favorite d'Oshii : Mado Hyôdô (qui est aussi la voix de doublage dans L'oeuf de l'Ange) elle a aussi participé aux films live (de Oshii) : The Red spectacles (les lunettes rouges) ainsi que Talking Head
Comme le précédent, elle bénéficie d'une aura presque mystique, ce qui sera de moins en moins le cas pour les héros futurs présentés dans le film, à mesure qu'on se rapproche de la temporalité présente. A l'époque de Mongize Ginjie et de Foxy Croquette, le resto basket était presque perçu comme un art, alors qu'ensuite, il devient plus un acte militant à la limite du terrorisme, à l'image de la société et des petits restaurants eux-même qui évoluent au fil du temps de petites gargotes individuelles aux grandes enseignes franchisées de restauration rapide.
Comme je l'évoquais plus haut ce personnage de Foxy Croquette alias Fried Croquette O-gin est aussi déjà apparue dans d'autres oeuvres de Mamoru Oshii, notamment dans le dessin animé Lamu (capture ci-dessous, et voir aussi plus bas dans le topic !! Ce personnage qui semble obséder le réalisateur sera repris dans des oeuvres ultérieures de Mamoru Oshii)
Crying Inumaru.
Il s'agit du 3ème Tachiguishi à apparaître chronologiquement dans le film, et il correspond au segment du début des années 60.
Il a souvent été repéré dans les petites villes de banlieue au milieu des années 60. Il se spécialisait dans le "stratagème de la malchance" et le "cri de la victoire", mais n'avait aucun sujet alimentaire principal. Perdant autoproclamé, il a souvent été battu par des propriétaires et des clients furieux. Il était apparemment un vagabond omnivore.
Ce personnage contrairement aux deux précédents, n'apparait pas à l'écran sous des images de guerre, mais associé à l'idéogramme qui signifie "poison"
Oshii aborde là le thème de l'empoisonnement de très nombreux chiens errants dans les grandes villes japonaises de l'époque afin de nettoyer la ville et la préparer à la modernité. Phénomène bien triste qui s'amplifia jusqu'aux fameux Jeux Olympiques de 1964, date souvent considérée comme charnière dans le retour progressif du Japon au premier plan international et l'évolution vers les années prospères économiquement. Mais avant d'arriver à cela, il fallait nettoyer au maximum les traces de l'après guerre et effacer toutes marques de la défaite humiliante du pays. Bien d'autres mesures furent prises à l'époque, notamment des sanctions très lourdes pour ceux qui urinaient dans les rues etc. Ce thème des chiens tués en masse dans les rues touche intimement Oshii comme vous pouvez vous en douter, lui qui n'a jamais caché son amour pour la race canine. A travers ce segment du film et le long monologue sur les chiens et les Olympiades, Oshii montre aussi à quel point pour lui ces JO étaient une farce et combien il méprisait à l'époque la réalité bien sombre derrière le vernis de ces jeux destinés à imprimer une nouvelle mentalité dans l'esprit des japonais.
Le personnage de Crying Inumaru agit d'ailleurs un peu comme un chien errant, et le "inu" de son nom signifie chien. Il est incarné (ou plutôt représenté, vous aurez compris que c'est plutôt l'utilisation de photos découpées) par Mitsuhisa Ishikawa, qu'on connait pour être notamment le producteur des films d'animation The End of Evangelion, Jin-Roh et Ghost in the Shell - Innocence .
On trouve ensuite le tachiguishi Cold Badger Masa
Personnage qui est incarné par Toshio Suzuki, qui pour info est le célèbre producteur et ancien président du studio Ghibli qui a produit notamment plusieurs films importants de Miyazaki et Takahata, mais aussi Ghost in the shell 2 - Innocence (de Oshii)
Ce personnage sert à illustrer la période 1965 - 1970 de l'Histoire du Japon, et son segment s'ouvre sur des références et images à la guerre du Vietnam. Il se termine en 1970 par son propre assassinat (qui fait échos à divers évènements à l'époque, notamment le retentissant suicide par seppuku de l'écrivain Yukio Mishima. Pour le réalisateur Mamoru Oshii, la date de 1970 constitue aussi une date amère car c'est un peu la fin des illusions de sa jeunesse, époque où la police a débarqué chez ses parents pour les convaincre de son côté révolutionnaire et où il a du opter pour un tout autre mode de vie (faisant par la suite évoluer ses combats idéologiques à travers ses oeuvres artistiques)
Pour ce qui est de l'histoire tragique de l'écrivain Mishima je pense que c'est assez connu pour beaucoup de vous, mais pour les autres je vous renvoie vers cette émission Europe 1.
On peut noter aussi que la mort du personnage de Cold Badger Masa est aussi évoquée dans le manga Kerberos Panzer Cops (manga relié à l'univers de Jin Roh, The Red Spectacles, Stray Dogs) ... Des planches du manga sont même glissées dans le film Tachiguishi Retsuden pour illustrer le propos.
La saga Kerberos s'inscrit dans un Japon uchronique où l'Allemagne nazie est censée avoir gagné la guerre (malgré l'union du Japon avec les alliés en fait, c'est une réécriture totale de l'Histoire) ; Dans cet univers, l'Allemagne domine d'abord le Japon, et une unité spéciale de super combattants va voir le jour au sein de la police de Tokyo pour lutter contre les mouvements terroristes. Cette unité de combattants d'élite est dotée d'armures au design très marquant créé par le designer japonais Yutaka Izobuchi. Elle a pour emblème le chien Cerbère (Kerberos en grec). Cette saga Kerberos a pour particularité de se décliner sous différentes formes et médias : films d'animation, livres, films live, jeux vidéos, figurines. je vous renvoie vers le topic dédié.
Abordons à présent Hamberger tetsu, un autre de ces "écumeurs de gargotes" à apparaître plus tard dans le film et qui engouffre un nombre hallucinant de hambergers, rendant fou le serveur (Manager Kamiyama) !
Hamberger Tetsu est représenté par Kenji Kawai, Kenji Kawai qui est aussi le compositeur du film, et compositeur très fréquemment associé aux films d'Oshii (Ghost in the Shell, The Red spectacles, Avalon, ...)
Voici sa dégaine dans le film
A noter que ce personnage de Hamberger Tetsu incarné par Kenji Kawai est un tachiguishi qu'on avait déjà pu voir dans l'épisode de la série Lamu intitulé Le roi des gourmands, il y apparaissait aux côtés d'un autre tachiguishi : Big Bowl Masa : cliquez ci-dessous pour voir quelques captures)
Concernant le personnage de Big Bowl Masa qu'on voit dans cet épisode de Lamu d'ailleurs, on le retrouvera dans le film d'animation Patlabor 2 et également dans Tachiguishi Retsuden !
autre personnage du film : Manager Kamiyama !! Il s'agit d'un serveur de tachigui qui est complètement dépassé par les commandes gargantuesques du personnage précédent (Hamberger Tetsu joué par Kenji Kawai )
Il est joué par Kenji Kamiyama (qui comme vous le savez peut-être, est le réalisateur de la série Ghost in the shell - stand alone complex )
Frankfurter Tatsu, personnage traumatisé par Disneyland et adepte des saucisses de Frankfort ! (ci-dessous)
Il est incarné par Katsuya Terada. Si vous ne le connaissez pas, sachez que c'est le character designer du film d'animation Blood The Last Vampire (encore un univers créé par Oshii) comme on peut donc le voir, Oshii a réutilisé plusieurs de ses anciens collaborateurs pour jouer les acteurs loufoques de ce film !
Medihum Hot Sabu : encore un autre tachiguishi à apparaître. Il s'agit d'un japonais qui se prend pour un indien !
Il est incarné par Shoji Kawamori
Ces deux derniers personnages apparaissent à la fin du film et sont reliés à la description des années 80, une période de forte immigration chinoise et indienne au Japon, période qui voit aussi des marques étrangères comme Disneyland s'implanter de plus en plus au Japon et où l'américanisation du pays est de plus en plus forte, avec la prospérité économique et l'impact du libéralisme. Cette période est marquée par le fait que la consommation est de plus en plus encouragée, on glorifie toujours plus des valeurs finalement bien factices (derrière les symboles de prospérité il y a du vide)
Ceci se retrouve aussi dans la nourriture avec un peu comme partout le recul d'une certaine cuisine traditionnelle au profit de la restauration rapide à l'américaine notamment plus prisée chez les jeunes (on assiste à l'implantation de Mcdo dans le paysage etc)
il en va de même pour le cinéma venant d'Inde qui prend plus d'importance ainsi que la cuisine indienne (apport du cury ..).
Pour info Kawamori, qui incarne Medihum Hot Sabu, est encore une fois un collaborateur connu de Mamoru Oshii. Réalisateur de dessins animés il a bossé notamment sur Macross et (en dehors de la coopération avec Oshii) a aussi travaillé sur Escaflowne, Ulysse 31 etc.
Références aux tachiguishi dans d'autres oeuvres de Oshii, crossovers, dessin animé Lamu etc
A ce stade, et pour que vous compreniez un peu mieux le délire, je vais faire une longue digression sur le dessin animé Lamu (Urusei Yatsura en VO) car bon nombre de personnages qu'on y trouvait dans l'épisode "Le roi des gourmands" se retrouvent plus tard dans les oeuvres live d'Oshii, notamment Tachiguishi Retsuden, mais pas que, c'est aussi le cas dans certaines scènes de Patlabor, dans son manga Kerberos etc.
Je place la suite en texte caché car c'est une longue digression sur Lamu, mais vous encourage bien évidemment à cliquer ci-dessous !
Bref, vous voyez un peu l'idée ; Nous avons un subtil mélange très humoristique de références aux fast food typiquement japonais (les tachigui), et aussi à travers eux, une petite critique des grandes enseignes qui cherchent à écraser les petites. plusieurs personnages seront réutilisés par la suite, et ces concours de nourriture et de "resto basket" destinés à repartir sans payer après avoir ingurgité des tonnes de nourriture dans les petits fast food, sont ici presque décrits comme une activité martiale, les scènes de Ogin avec son mentor rappellent presque un entrainement aux arts martiaux, le côté en apparence sérieux et pourtant très second degré a quelque chose de croustillant, comme ce sera plus tard aussi le cas dans le film live humoristique Tachiguishi Retsuden On voit à quel point déjà dans Lamu, Mamoru Oshii s'amusait avec ce thème et posait quelques graines pour élaborer son futur univers des tachigui qui infusera dans plusieurs de ses oeuvres.
Les restos de sobas ont par ailleurs toujours constitué un fantasme pour Mamoru Oshii ! Comme il l'explique dans certaines interviews, Oshii s'amusait à penser que dans les sous-sols de ces restaurants se cachent des choses bizarres comme des avions de combat par exemple ! idée complètement frappadingue mais c'est un fantasme auquel il a donné corps dans le film d'animation Beautiful Dreamer où il existe une scène similaire :
Après s'être ainsi amusé pendant des années dans d'autres de ses oeuvres comme Lamu, Patlabor, la saga manga Kerberos avec ces petits restos, les Tachigui, Oshii va développer un roman sérialisé au début des années 2000 nommé Tachiguishi Retsuden, c'est ce dernier qui sera à la base du film éponyme.
Mais maintenant que nous avons parlé du film de base, nous allons évoquer ses suites ainsi que les crossovers avec l'univers Kerberos ! (message suivant)