J'ai été voir le film !!
Avant de commencer ma critique je tiens à dire que je ne vais pas être objectif car j'ai beaucoup aimé le film alors que pas mal de raisons auraient pu faire que je ne l'aime pas dans un autre contexte. En plus je pense qu'il y a certains partis pris historiques d'Amenabar sur lesquels il nous faut émettre des réserves, comme la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie conséquence des affrontements entre chrétiens et païens, c'est une hypothèse certes, admise par certains historiens, mais pas tous et d'autres pensent que la destruction de la bibliothèque est imputable aux musulmans et au calife Omar voire encore à d'autres faits historiques (antérieurs à la chronologie du film) ; les hypothèses semblent être nombreuses. Prudence donc
. J'évoquerai d'autres réserves sur le film d'après ce que j'ai compris de petites recherches faites avant de le voir mais je suis loin d'être spécialiste de cette période ( à la fois fascinante et incroyablement compliquée... )
Mais je vais plutôt le défendre car je l'ai aimé et ses thématiques me touchent, Agora est un film qui me parle, mieux que ça , ce film, c'est pratiquement toute ma pensée, tout mon fondement !!! Je me reconnais beaucoup en lui si bien que je crois que je l'oublierai pas de sitôt.
L'action se déroule dans une période troublée de l'Histoire humaine : la fin de l'empire romain au 4ème siècle, en ces temps où le christianisme triomphant peu à peu se durcissait et faisait tout pour effacer les siècles précédents marqués à la fois par le paganisme et l'héritage philosophique grec. Les évènements du film symbolisent bien cette période souvent considérée comme la fin du monde antique et comme le passage de l'Antiquité au Bas Moyen Age. Ces temps sombres sont marqués par la domination de l'empereur Théodose 1er pour l'Empire d'orient , lequel se convertit au christianisme et fit tout pour faire disparaître tout signe des anciennes religions, notamment à travers son célèbre
édit de Thessalonique qui proclama le Christianisme religion officielle. Voilà pour le décor.
Le film centre son action autour d'une femme astronome nommée Hypathie d'Alexandrie, fille de Théon d'Alexandrie- également philosophe- et il nous dresse un portrait émouvant de cette femme martyr entrée dans la légende, dont je vais évoquer après quelques éléments de biographie, pour mieux saisir l'oeuvre, femme au portrait riche et qui se trouve au centre d'un triangle amoureux dans le scénario du film, triangle amoureux qu'elle rejette pour se consacrer à sa passion qui fonde sa vie : ses recherches scientifiques.. Mais à travers l'évocation de ce destin dramatique, Agora raconte entre autre la chute et le pillage de ce haut lieu du savoir que fut la Grande Bibliothèque d'Alexandrie, notamment à travers une scène épique très émouvante ..
Histoire de résumer un peu la vie de cette femme, Hypathie, il convient de rappeler qu'elle était une brillante astronome et philosophe qui aurait été un temps à la tête de l'école néoplatonicienne d'Alexandrie. Elle enseignait à ses disciples les grands philosophes, Platon, Héraclite, Aristote mais aussi les découvertes d'Euclide en géométrie ainsi que les mathématiques et l'astronomie notamment l'astronomie de Ptolémée en vogue à cette époque basée sur le géocentrisme, et ce célèbre système d'engrenage compliqué fait de cercles et d'épicycles pour expliquer le mouvement des astres (étoiles, planètes, soleil) autour de ... la Terre ! Le film regorge de petits clin d'oeil sympathiques à l'Histoire de l'astronomie antique, qui ne manqueront pas de titiller les passionnés de cette science, notamment aussi les théories d'Aristarque de Samos qui le premier imagina l'héliocentrisme (donc que la Terre pouvait se mouvoir autour du soleil et non l'inverse)
ci-dessous : Hypathie dans le film (incarnée par l'actrice Rachel Weisz)
Pour bien saisir certaines allusions scientifiques du film il convient de rappeler aussi que cette femme centra ses recherches sur les travaux d'
Apollonios de Perga relatifs aux sections de cônes (courbes bien connues des lycéens et étudiants sous le terme de coniques, comme la parabole, l'ellipse etc) Le film à mon avis s'avance un peu car il laisse entendre qu'Hypathie aurait, la première et bien avant Johannes Kepler au 17ème siècle, compris et imaginé que la Terre décrivait une ellipse autour du soleil , dont ce dernier occuperait l'un des foyers. A mon avis (à vérifier) le film s'avance un peu mais ce qui est sûr c'est qu'Hypathie était un personnage historique un peu légendaire, du fait de son destin tragique ; ses travaux furent perdus et pillés, et elle fut finalement lapidée par des chrétiens fanatiques si bien qu'on ne saura jamais vraiment quelles furent ses découvertes, les informations sont floues , ce qui fonde la légende et cette figure d'héroïne bien pratique pour faire un film autour et qui a inspiré bien des artistes à travers les âges. Beaucoup la décrivaient en tout cas comme une femme remarquable par son intelligence et aussi sa beauté ( la légende voudrait aussi qu'elle ait conservé sa virginité jusqu'à son supplice terrible)
Avant d'en venir au fond du film parlons de la forme : Objectivement, ce n'est pas le film du siècle concernant le jeu des acteurs, il est parfois moyen, Amenabar a tenu à ce que son oeuvre ne soit pas produite par Hollywood pour pouvoir faire son film à lui, un film intimiste, produit par des indépendants. Ca se ressent parfois ; Il y a des lourdeurs, certaines scènes au niveau du jeu d'acteur (voire de la mise en scène) sont imparfaites. En plus la bande musicale est soft et même presque carrément inexistante, et pour moi qui accorde tellement d'importance à la BO dans les films, j'avoue que ça m'a un poil gêné et que j'aurais aimé parfois ressentir un souffle épique plus puissant. Agora est un péplum, mais autant annoncer la couleur tout de suite, ceux qui ont adoré Gladiator - comme moi- ne verront pas du tout le même film !! D'ailleurs les scènes de violences sont souvent terribles, mais sur la durée du film, il y en a peu, l'intérêt est ailleurs, il est dans les thèmes du film, dans cette dénonciation de la barbarie humaine, dans ce qu'il raconte, dans les répliques des personnages- certaines d'entre elles un peu convenues aussi d'ailleurs, mais pourtant, tellement vraies, tellement parlantes et pleines de sens.
Car Agora est avant tout un film tiroir qui mêle plusieurs sujets comme les guerres de religion, l'opposition science / religion, les débuts du christianisme, le début du martyr et de l'exode des Juifs, la fin du paganisme, l'astronomie antique, le machisme, la place de la femme dans les religions, la philosophie, la liberté de penser et j'en passe. Tous ces sujets sont mêlés - certains diront, de manière malhabile c'est un peu vrai parfois - mais c'est aussi cet aspect " film-somme" qui m'a ému, qui m'a intéressé, qui m'a parlé, ce film à lui tout seul, en deux heures concentrant pas mal de choses qui sont au coeur de mes réflexions, de mes centres d'intérêts, de mes coup de gueule parfois, et c'est cette intention de film tiroir qui compte et qui mérite qu'il soit vu.
Ne nous faisons pas d'illusions. Un peu comme un Alexandre d'Oliver Stone (en pire peut-être) Agora ne marchera sans doute pas très bien dans les salles - Les gens préfèrent dépenser 15 euros - pop corn inclus - pour aller voir Avatar. Il marchera notamment pas aux Etats Unis mais je pense qu'il a ses chances en Europe par le bouche à oreille et je le conseillerais à tous ceux comme moi qui aiment les films qui racontent vraiment quelque chose, qui dénoncent certains mauvais penchants de la nature humaine, où les cinéastes ont un vrai culot. Car Agora est un film sacrément culotté, un film sans doute, qui ne plaira pas aux chrétiens car le visage du Christianisme primitif n'est pas rose dans cette oeuvre. Les chrétiens pillent le savoir millénaire de la Bibliothèque d'Alexandrie, ils massacrent païens, Juifs, jusqu'à la scène finale du film que je ne dévoilerai pas ici, qui nous retourne le coeur.
Pourtant le film n'est pas non plus sans nuances. C'est bien les mécanismes de la violence qui sont dénoncés. Et si on laisse ses préjugés (athées, chrétiens, ou même Juifs ou autre) de côté, on se rend compte que les crises sont toutes un peu la succession d'une espèce de loi du talion qui n'en finit plus. Les chrétiens d'abord discriminés par les païens se mettent à massacrer à leur tour une fois qu'ils sont devenus en surnombre. Une fois la menace païenne écartée ils s'en prennent aux Juifs, ces derniers répliquent , les chrétiens les massacrent et décrètent les Juifs " tueurs du messie" peuple honnis pour toujours, référence à l'exil qui va suivre et ainsi de suite.
Mais en plus de cet aspect "conflits inter religieux" entre différentes communautés religieuses, le film aborde aussi la violence des religieux à l'égard des défenseurs du savoir scientifique, et de la pensée libre, si bien incarnés par cette astronome et philosophe , Hypathie ( jouée par
Rachel Weisz) ; D'un côté on a les religieux qui pensent tout savoir et qui sont dans une logique de foi aveugle, de l'autre , cette femme émouvante qui cherche à résister désespérément aux pensées dogmatiques et à cet obscurantisme et fanatisme religieux grandissant, en gardant sa liberté de penser, sa liberté de croire ou de ne pas croire, même lorsqu'elle est forcée d'embrasser la foi chrétienne. Une de ses répliques la résume : "je ne crois en rien, je doute" Réplique qui me rappelle une quasi-similaire dans le pacte des loups de Christophe Gans - autre film que j'adore
- dans la bouche de Grégoire de Fronsac ...
En bref j'adore Agora car ce film titille là où ça fait mal, même s'il y a sans doute quelques anachronismes ou quelques partis pris. J'évoquais au début de cette critique le fait que finalement le personnage d'Hypathie soit un peu perdu dans la légende et peu connu ; beaucoup l'ont récupéré et vu que ses travaux scientifiques ont été perdus, on peut imaginer beaucoup de choses, comme l'histoire de la découverte très précoce du mouvement elliptique des planètes évoqué dans le film ^^
Au niveau des faits historiques relatés, après quelques recherches persos ( Renaud qui est notre spécialiste du Moyen Age et qui s'y connait très bien aussi en histoire chrétienne nous donnera son avis sur cette destruction de la Bibliothèque d'Alexandrie attribuée aux chrétiens), apparemment c'est plus compliqué et celle-ci s'opéra en diverses étapes, dont la dernière est attribuable à la conquête islamique .. Quoiqu'il en soit ça rejoint le message du film sur la dénonciation d'un certain intégrisme religieux très néfaste pour le savoir. Comme autre réserve on peut critiquer le fait de raconter des évènements qui ont sans doute pris un certain temps pour se dérouler, en deux heures. C'est forcément un peu déformé, c'est là les limites du cinéma mais on peut pardonner. C'est un film à voir en tout cas, notamment pour ses clin d'oeil à l'astronomie et son message humaniste. Ma perception est qu'il faut lui voir une portée universelle et une dénonciation de l'intégrisme sous toutes ses formes.
En bref Agora est un film qui essaie de relier et de marier, parfois avec maladresse - plusieurs trames et grandes thématiques, mais c'est l'intention qui compte. Il faut le voir comme un plaidoyer. Un plaidoyer pour la pensée libre, un plaidoyer pour la philosophie. Un plaidoyer pour l'astronomie, cette belle science qui peut tellement nous apporter, bien plus qu'une simple connaissance plate des mécanismes du monde, mais aussi, donner un sens à ce monde et à cette existence faite de guerres et de conflits absurdes entre individus qui croient détenir la vérité. Le film, sans être une apologie de l'athéisme ( certains le verront comme ça mais il serait réducteur de le voir ainsi ) est en tout cas une valorisation du doute scientifique, un appel à la remise en cause permanente et à l'esprit critique. C'est un plaidoyer contre l'obscurantisme, contre le fanatisme religieux, contre le fanatisme tout court. Et au coeur de cette trame déjà passionnante (et tellement actuelle quand on pense aux conflits religieux à travers le monde à travers l'Histoire jusqu'à aujourd'hui, depuis l'Inquisition jusqu'au terrorisme de l'islam radical) , au coeur de cette démonstration fort louable, il y a cette astronome, égérie de beaucoup de mouvements finalement car beaucoup aiment bien la récupérer depuis les féministes, on peut comprendre pourquoi, jusqu'aux athées et ceux qui dénoncent les intégrismes religieux, en passant par les scientifiques que sa figure séduit souvent car elle symbolise si bien - un peu comme le personnage de Galilée en bute à l'Inquisition - cette opposition souvent violente et tragique entre pensée scientifique et foi religieuse aveugle, les deux faisant rarement bon ménage.
La mort d'Hypathie fut suivie d'un évènement pour le moins honteux : Cyrille, le patriarche d'Alexandrie qui était l'instigateur de son meurtre en agitant les foules fut ensuite canonisé, et respecté par certains pour avoir contribué à laver les dernières traces de paganisme dans la région. Le destin tragique de cette femme et plus généralement tout ce que le film relate, y compris ses nombreuses tueries et massacres commis au nom de la religion, devraient nous interpeler sur à la fois les débuts du christianisme mais plus généralement l'expansion de toutes les religions; ceux qui pensent généralement que ça s'est fait sans violence sont vraiment naïfs et ce film va sans doute gratouiller certains chrétiens en jetant une ombre de honte sur ces premiers temps de l'Eglise qui n'eurent rien à envier aux périodes plus tardives de l'Inquisition (ou aux massacres commis au nom d'autres religions).
La destruction de la Bibliothèque et la mort d'Hypathie eurent en outre un effet retentissant sur les savants de cette époque qui s'exilèrent ce qui marqua la fin de la grande époque d'Alexandrie comme centre intellectuel du monde. Ce dernier se déplaça vers de nouvelles régions : la Perse, Byzance et marqua le début du Moyen Age pour l'Europe et le déclin de l'Occident, du moins en ce qui concerne les sciences, lesquelles renaquirent véritablement à l'époque de la renaissance au 15ème siècle.
Les événements décrits dans le film s'insèrent donc dans une période capitale pour l'Histoire de l'Humanité, où beaucoup de choses se sont décidées, où l'avenir a pris une certaine tournure. Pour terminer et faire bien complet, je signale à ceux que cette période intéresse le livre de l'astronome français
Jean Pierre Luminet :
Le bâton d'Euclide , consacré à la chute de la Bibliothèque d'Alexandrie avec beaucoup de passages relatifs à Hypathie. C'est un astrophysicien que j'aime beaucoup lire ^ ^
En conclusion, un film loin d'être exempt de défauts, au niveau de sa forme, mais un film que d'emblée je vais retenir en ce début d'année 2010. Après la déception Avatar ça fait vraiment plaisir d'enchaîner avec une aussi bonne surprise.