Wii : le mensonge de Nintendo
18/09/2006 17:17:00
Pour servir sa cause industrielle, Nintendo a menti aux médias et donc, surtout, aux mastodontes de la concurrence next-gen. La "petite" Wii, qui ne devait faire que du jeu et laisser tranquillement la Xbox 360 et la PS3 se disputer les fonctionnalités et services numériques, se révèle tout à coup avec les Wii Channels une vraie machine multimédia. Avec sa Wii deux fois moins chère et deux fois plus ergonomique, Nintendo ne défend plus son marché mais attaque ouvertement celui "squatté" par Sony et Microsoft.
Quelle est la première chose que l'on voit sur le site officiel Wii qui vient d'ouvrir ? Un bras et une télécommande tendus vers les ... "Wii Channels". Des chaînes de services d'intérêts divers qui vont de la météo aux infos, de la retouche de photos à la création d'avatars (Mii). Douze chaînes, ou canaux, sont ainsi disponibles d'emblée sur la Wii et d'autres canaux éventuellement monnayables viendront plus tard. Quel rapport avec le jeu vidéo ? Aucun. Pourtant il s'agit bien de la nouvelle console de jeux vidéo de Nintendo, un objet purement ludique qui ne devait faire du jeu et rien que du jeu. Un gadget design qui ne prétendait pas être autre chose qu'une machine à jouer, qui ne devait pas chercher à occuper le centre des activités numériques du salon contrairement aux deux autres prétendants Sony avec sa PlayStation 3 et Microsoft avec sa Xbox 360. Voilà plusieurs années que Nintendo assène ce message contre révolutionnaire rappelant en substance : qui peut le plus peut le moins. Le pas de côté de la Wii destiné à esquiver la course à la surenchère high-tech et à retrouver une rentabilité économique devait remettre le jeu vidéo au centre du débat et des savoir-faire. C'est à bout de bras et à l'huile de coude que la révolution Wii se devait d'exister et non à coup de millions de dollars et de fonctionnalités tous azimuts. Les jeux Wii devaient être capables de continuer à intéresser les gamers et embrasser, comme la DS, une nouvelle population de joueurs non encore déclarés avec des propositions de jeux simples.
"Les jeux vidéo permettent le plus souvent de s'immerger dans un autre monde, d'investir le rôle d'un héros et de vivre des aventures extraordinaires" explique le président de Nintendo Satoru Iwata venu à Londres parrainer l'annonce de la sortie de la Wii en Europe le 8 décembre, "les jeux de la Touch Generations sur Wii comme sur DS ne cherchent pas à vous extraire de la réalité, au contraire, ils s'adressent à vous dans le monde réel. C'est comme cela que nous allons convaincre les gens de n'importe quel âge de jouer sur la Wii." Présent à la conférence européenne quelques heures seulement après celle donnée à Tokyo, Iwata est venu dévoiler non pas le prix de la console ou les jeux mais l'arrivée de la cinquième et dernière étape de la révolution préparée chez Nintendo ces dernières années. Ce plan plus prémédité encore que tous les observateurs ne l'ont prévu a commencé avec 1) le lancement de la DS et de son interface de jeu tactile, 2) la création de la gamme de jeux dits Touch Generations qui cherche à élargir le public des joueurs à l'ensemble de la population adulte 3) la mise en place de la Nintendo Wi-Fi Connection qui relie sur Internet tous les joueurs DS et bientôt Wii, une véritable révolution au sein de Nintendo qui affichait jusque là son désintérêt d'Internet en tant qu'acteur du jeu, 4) le développement du concept de la Wii et de son interface sans fil et sans manette aussi disruptive que la DS et, enfin, 5) les Wii Channels tout juste annoncées et, jusqu'à ce jour, secret bien caché par Nintendo.
Considéré par la plupart des observateurs comme un plan de survie et de résistance à la charge des monstres Sony et Microsoft, "l'inoffensive" Wii a fini par attendrir la concurrence au point que, décontractés, Peter Moore de Microsoft puis Phil Harrison de Sony Computer ont déclaré ouvertement leur sympathie pour la Wii qui, officiellement, ne jouait pas du tout sur le même terrain que leurs consoles next-gen. La révélation des Wii Channels jette pourtant un tout autre éclairage sur la stratégie Nintendo. Surtout lorsque l'on réalise que Nintendo a été jusqu'à officialiser la dissimulation de cette initiative par le mensonge. "La Wii ne fera que du jeu, elle n'est pas une machine multimédia, ce n'est pas le métier de Nintendo." Un mensonge industriel pieux de la part d'un Nintendo soucieux de préserver un secret important susceptible de faire basculer en sa faveur tout le marché de la console de salon. Le plan de survie de Nintendo se révèle tout à coup un véritable plan de reconquête du marché.
La Wii est donc bien une machine multimédia comme la Xbox 360 et la PlayStation 3. Contrairement aux pronostics, elle n'a pas pour vocation d'être un complément aux deux autres "grosses" consoles. Avec son catalogue de jeux tout public, sa Virtual Console, ses services multimédia et Internet, elle peut purement et simplement les supplanter. Plus inquiétant encore pour Sony et Microsoft dont les états majors doivent être depuis jeudi dernier sur le pied de guerre, deux fois moins chères que ses concurrentes, la Wii est en plus équipée du meilleur outil multimédia imaginable avec son intuitive télécommande pointeuse, et profite du savoir-faire unique de Nintendo en terme d'interfaces et d'ergonomie. La Wiimote facilite d'office la navigation sur Internet prévue sur la Wii en natif grâce à l'inclusion du logiciel Opera alors que ni la Xbox 360 ni la PS3 ne laissent surfer librement sur Internet. Avec ses premiers services comme la chaîne d'actus, la ludique chaîne météo en 3D, ou les forums et échanges de messages simplifiés, les Wii Channels vont chercher à habituer tout un chacun à utiliser quotidiennement la Wii. Des nouvelles chaînes sont donc à venir et si Nintendo a décidé à la dernière minute de supprimer la fonction annoncée de lecture DVD additionnelle pour réduire le coût de vente de la Wii, n'est-ce pas parce que, s'il le souhaite, le consommateur pourra demain s'abonner à une chaîne de Vidéo On Demand (VOD) via la Wii ? Oui la révolution Nintendo est bien en marche et, comme toute révolution digne de ce nom, elle n'arrive pas par là où on l'attendait.
François B. de la Boissière
Quand je disais que Nintendo va écraser le marché.